Destination : 19 , De la suite dans les idées


J comme journée

Petit matin


La pluie n'a pas cessé de tomber toute la nuit. Elle pense à ce que

sera sa journée.

Elle a prévu de la passer extra-muros.

Participer à un atelier d'écriture animé par un parolier de chansons,

expérience insolite qu'elle va tenter pour la première fois.

Elle ne connait ni l'animateur ni les participants. Aujourd'hui,

l'inconnu loin de l'angoisser, l'excite.

Est-ce l'effet de ce stress qu'elle a vécu tout le long de la semaine

passée ou juste une envie de couper avec son quotidien?

Mais s'il continue à pleuvoir, elle ne sait pas si elle aura le

courage de faire les dix kilomètres qui la séparent du lieu de

l'atelier.

Très vite, elle se rend compte que le temps passe et qu'il faudrait

penser à se lever.



Matin



Tout faire et très vite:

Boire son café , mettre en route les machines sans lesquelles elle ne

pourrait se dégager de ses tâches ménagères, consulter son courrier

électronique, ranger sommairement, donner les ordres pour ce qui reste

à faire, s'habiller, marquer sa présence au travail, insister pour

qu'on l'appelle en cas de pépin et enfin , prendre la route: une partie

de plaisir, mettre à fond sa musique préférée et se laisser aller.

La pluie s'est arrétée, elle a cédé la place à un soleil timide mais

qui promet d'être plus chaud. Le ciel est dégagé et la route

fraîchement lavée est agréable: à sa droite le lac de Tunis, bleu sous

la couleur du ciel, miroitant. Les cignes blancs minuscules au loin, le

parsèment telles des fleurs blanches. En arrière-plan, la ville. A sa

gauche, la mer. Quelques bateaux semblent sommeiller.

Surgi de nulle part le petit train bleu, lui cache la mer un

moment.Rapide, il a vite fait de la dépasser.

D'habitude, elle ne se laisse pas faire mais aujourd'hui elle n'a pas

envie de vitesse, elle est en avance et voudrait prendre le temps

d'apprécier cette solitude offerte à elle.



Matinée



Elle s'en sort non sans peine des embouteillages.

Arrive sur les lieux de l'atelier.

Surprise: des visages connus, des retrouvailles agréables et des

souvenirs d'écriture en commun: comme au bon vieux temps, se dit-elle,

elle qui a évité cette année l'ambiance de l'écriture sous contrainte,

sa nature rebelle a fini par s'insurger contre cette forme

de l'inspiration provoquée. Elle ne s'en est pas rendue compte au

début, puis cela a commencé à lui peser jusqu'à devenir intolérable.



Prendre le temps de boire à la cafétéria, un café partagé .

Puis elle entre dans la petite salle : " Carré d'art ", elle s'appelle,

très joli nom, très bel espace, souvent exploité pour des

représentations ou des lectures pour un public restreint.

Commence la séance d'écriture des chansons. Venue par curiosité, elle

se prend au jeu.

Un mot, anodin, auquel s'ajoute un autre et un autre, puis répétition

du premier mot et même travail.

Des rimes croisées ou embrassées, masculines ou fémines donnent la note

finale à la chanson.

Ecriture sur fond de chansons de Nougaro et de Trenet.

Très vite, sa matinée passe.

Un engagement l'après-midi l'empêchera de revenir à la deuxième séance

.. Rien n'est perdu, le lendemain, l'atelier se poursuivra toute le

journée, elle reviendra, c'est sûr.





Midi



Son ancien groupe d'écriture, sort pour déjeuner ensemble, juste une

heure de pause, ils n'iront pas loin. Elle les envie, envie de parler,

de retrouver un peu de l'ambiance " entre étudiants " de ces matinées

passées à écrire ensemble.

Mais non, elle ne pourra pas.



Elle a promis... il a tellement insisté.

Deux mois sans nouvelles de lui et tout d'un coup deux e-mails:" je

serais heureux si tu pouvais assister à la réception que j'organise à

l'occasion du mariage de ma fille jeudi." Puis, " Je compte sur toi ".

" Félicitations " était sa réponse écrite.

Elle ne se rappelle plus la raison du froid qui s'est installé entre

eux, ce n'est sûrement pas important puisqu'elle l'a oubliée.

Une heure plus tard, elle écrit de nouveau: " je viendrai ".

Tout de suite sur son écran :" Merci "



A contre-coeur, elle s'engouffre dans sa voiture, rentrer, manger et se

préparer pour l'après-midi.





Après-midi



Tour infernal dans la ville à la recherche d'une place où se garer.

Rien, pas l'ombre d'un parcmètre libre, elle est obligée de rouler

jusqu'à ce parking à un quart d'heure de marche du lieu de la

réception, elle n'a pas le choix. Elle roule au pas, embouteillage

oblige. En espèrant qu'il y aura une place, même au deuxième sous-sol,

ce qu'elle déteste par- dessus tout: cela l'angoisse de

descendre si bas, puis de remonter la pente en sortant, elle a

toujours l'impression que la voiture va retomber à l'arrière, qu'elle

ne pourra pas maîtriser son frein à main.

Un tour au premier sous-sol, elle repère une place. Se gare.

Enfin, elle est dans la rue, pas très en retard, elle n'aime pas non

plus arriver parmi les premiers, c'est génant, comme si elle

était impatiente d'être là.

Non, elle n'est pas la première, il y a déjà foule, elle le voit, il

vient vers elle, la salue puis repart vers les autres invités.

Très vite, elle se retrouve seule, le temps passe, elle s'ennuie, elle

regrette l'ambiance de l'atelier, a envie que tout finisse très vite

pour qu'elle reparte travailler.

Commence alors la réception, un speech du papa, des applaudissements,

puis, on a déclaré le cocktail ouvert .

Je resterai juste dix minutes se dit-elle et je pourrai partir.

Elle hésite pendant cinq minutes puis elle s'en va lui dire : "

Félicitations encore une fois ", il lui serre la main, les yeux

humides.

Prend ensuite le temps de féliciter les mariés, leurs mamans.

Enfin libre.

Elle part chercher sa voiture et rentre travailler jusqu'au soir.

Si elle n'était pas venue, se serait-il aperçu de son absence?

Elle en doute. Pouquoi a-t-il donc insisté pour qu'elle vienne?

Un bonheur qu'il voulait partager avec le maximum d'amis, elle ne

voyait pas d'autre explication.

Ameline