Destination : 34 , Sous le soleil d'Ailleurs


Le petit dernier

C 'était le mois d'âout, la canicule sévissait depuis des jours, les hommes indolents, affaiblis, souffraient en tout lieu.


Une femme venait d'accoucher d'un garçon, son troisième enfant.



Les derniers jours de sa grossesse étaient éprouvants, son souffle arrivait parfois à lui manquer comme si l'air chaud qu'elle respirait n'atteignait pas ses poumons.



Plus d'une fois elle perdit connaissance, seule dans sa grande maison, n'ayant d'autre compagnie que celle de sa petite fille de cinq ans.



Petit à petit, elle revenait à elle, étonnée du miracle, juste un malaise, se disait-elle, se rassurant à moitié.



Sans se l'avouer, la future maman était soulagée que son grand garçon soit chez sa grand-mère en cette période, il était d'une énergie débordante, à la limite de la turbulence, ses petites jambes de loin plus rapides que les siennes.



Elle était incapable de monter, de descendre, au rythme du petit diable, les escaliers qui délimitaient l'espace jour de l'espace nuit. Elle ne pouvait pas non plus le laisser seul en haut, livré à lui-même . L'été, qu'elle redoutait pourtant, lui apportait cette solution qui la reposait physiquement .



Dès qu'on lui mit le bébé dans les bras, Flamme vit qu'il était et serait différent de ses deux autres enfants: Il était goulu, impatient, la crinière noire bien fournie, le regard perçant, les poings serrés très fort.



En vain tentait-elle d'ouvrir les petites menottes pour les refermer sur ses doigts. Que lui cachait-il ?



Dans sa nouvelle fatigue, elle aurait voulu arréter un moment la tétée mais son bébé poussait des cris stridents dès que ses lèvres rencontraient le vide. Vite, elle le remettait au sein, le coeur brisé d'être la cause de ses pleurs.



Le jour, elle en perdait la notion du temps, la nuit, elle dormait très peu, se réveillait en sursaut, au premier cri, toute baignée de sueur. La fenêtre restée ouverte, ne laissait entrer aucun souffle ni la moindre brise même après minuit. Des moustiques attirés par la lumière de la lampe de chevet, envahissaient la chambre, saignaient à blanc la maman, et, malgré la protection du lit de Bébé, lui aussi montrait au matin des plaques rouges, enflées.







Le petit garçon s'avéra en grandissant être intransigeant, coléreux : ses deux frères firent instictivement bloc contre lui. Ses parents, eux, cédaient à ses caprices , ce qui ne fit que conforter le petit monstre dans ses défauts .



La préférence du père allait à cet enfant , négligeant son ainé, qui, se sentant trahi, s'était renfermé dans sa coquille, se mit à se ronger les ongles, à mouiller son lit.



Dans ses rares moments de disponibilité, la maman sentait le changement, le mettait sur le compte de la jalousie. Pourtant c'était à lui qu'elle pensait le plus quand elle avait une petite gâterie qui ne se divisait pas, quand il lui restait un peu sur l'argent du ménage et que ses yeux tombaient sur un jouet demandé.



Sa fierté venait de ses résultats scolaires, quand elle rencontrait les autres mères de famille à la fin du trimestre: un bulletin d'honneur, toujours, brandi à bout de bras de son enfant comme un trophée.



La petite fille discrète, souvent tyranisée par son jeune frère, se réfugiait, dès qu'elle terminait ses devoirs, dans un recoin de la salle à manger, loin des regards, parlant à sa poupée comme à une petite soeur. Elle aurait aimé en avoir une grande qui ressemblerait à tout point à sa maman, qui s'occuperait d'elle plus qu'en l'habillant, la coiffant, la baignant; une chaleur que les deux personnes les plus proches de son coeur étaient loin de lui donner, une oreille attentive, une complicité dans le regard.



Il y avait bien l'ainé, il l'aimait bien, mais un garçon, c'est turbulent, ça parle fort et grossier, et puis les jeux qu'il lui demandait de partager ne lui plaisaient pas toujours.



Le temps a passé, l'enfance aussi, les enfants partirent chacun faire son bout de chemin... mais le petit dernier ne fut pas long à revenir habiter chez ses parents qui commençaient à prendre de l'âge.



L'enjeu était de taille : le père en travaillant dur a ramassé une petite fortune. Sa peau définitivement tannée, ridée trop tôt pour son âge témoignait des soleils brûlants qu'il a subis à courir les chantiers d'un bout à l'autre du pays.



" Leur petit ", ses études terminées, n'arrivait pas à trouver un travail à la hauteur de ses ambitions, de ses affinités. Bientôt, il arréta d'en chercher, n'en éprouvant pas le besoin : logé, nourri, quelques billets donnés en fin de semaine lui suffisaient.



Ce fut le père qui se mit en quête d'une place pour lui auprès de ses anciennes connaissances. Peine perdue, le jeune homme ne fut pas à la hauteur, soit il ne se rendait pas aux rendez-vous fixés, soit il ne restait pas plus d'une semaine dans un poste qu'il estimait en dessous de ses compétences, blessant son père dans son honneur auprès de ses amis.



Le climat à la maison commençait à s'en ressentir : le père comprit que son fils se complaisait dans cette situation tout en devenant de plus en plus exigeant, de plus en plus arrogant, sortant le soir pour rentrer à des heures impossibles, ivre, chahutant, réveillant ses parents en sursaut.



Le caractère des parents s'est aigri, des disputes surgirent dans le couple, et entre les deux hommes, la chaleur qui irritait les nerfs, faisait monter le ton, un peu plus chaque jour.



Se voulant prévoyant, le père avait fait, depuis quelque temps son testament, partagea à sa façon ses biens entre ses trois enfants, craignant des litiges après sa mort.



Son denier fils en eu vent, questionna tant et si bien sa mère qu'elle lui en donna les détails, le priant de ne rien en dire à son père, il se fit rassurant mais dès le lendemain, les choses changèrent; des meubles sortirent de la chambre des parents, à présent séparés dans leur sommeil, ayant choisi chacun, d'un commun accord l'espace qui lui convenait. Ils se trouvèrent mille et une différences : l'un ne supportait pas les fenêtres fermées, suffoquait en ces nuits d'été, l'autre, sensible aux courants d'air, se complaisait dans une atmosphère confinée, brûlante à souhait.



Le grand lit, la penderie, la télé bien que se trouvant à l'étroit, changèrent de propriétaire, l'argent de poche devint salaire important : il suffisait que son fils élève un peu la voix pour que le vieil homme cède, il craignait un geste maladroit : la chaise repoussée un peu plus brusquement à chaque fois, ne risquait-elle pas de le toucher un jour?



Un matin, le clerc d'un huissier- notaire vint frapper à leur porte : le père bien que n'ayant rien à se reprocher, se mit à trembler en signant la décharge de l'avis.



En le lisant, il manqua s'évanouir : son fils le sommait d'évacuer les lieux.



Dans sa confiance en ses enfants, il avait légué sa maison au plus petit, sans toutefois spécifier que la jouissance de ce bien ne prenait effet qu'à son décès.



Jamais le père ne se remit de ce choc, une paraplégie le priva de l'usage de sa main droite, de la parole compréhensible, son enfant n'en eut cure.



Quelques jours plus tard, un homme et une femme, claquèrent définitivement la porte de leur maison, hélèrent un taxi.



C'était le mois d'âout, trente ans, jour pour jour après la naissance de leur petit dernier, la chaleur étouffante rappellait une autre non moins pénible.



Ameline