Destination : 35 , A contre sens


Ces mots qui dérangent

Les années :

Commencent pour eux, comptine légère.
De la cuisine, elle entend ses enfants jouer :

Ils remplissent agréablement son espace, occupent ses journées.

Un, deux, trois … quatre, cinq, six.

Il y a toujours eu cette différence d’âge entre eux, deux ans.

Depuis qu’ils ont grandi, ça ne compte plus. Comme deux jumeaux, ils partagent les mêmes jeux, la même complicité. .

Aujourd’hui encore, elle s’en sent exclue.

Dix, onze, douze.

Déjà, les premiers bobos, la ride qui barre le petit front. Maman est là, elle console, cajole, chatouille, murmure tout bas les mots qui apaisent.

Le rire fuse, franc et sonore. Le poids n’est plus…

Dix sept, dix huit, dix neuf.

L’heure est aux départs. Leurs classes sont désormais ailleurs.

Valises et cabas encombrent l’entrée. Tous ces placards qui se vident, les chambres tout d’un coup sinistres et sans âme : la photo qu’on emporte, le poster qu’on décroche.

D’un sourire contraint, elle fait un ultime effort pour ne pas se laisser aller aux larmes, elle leur dit que ça ira, que de toutes façons, ils vont bientôt revenir.



L’âge :

L’anniversaire qui revient, une bougie de plus à la main . Fête, oui mais…

Trop rapide tout ça.

A peine le temps de reprendre son souffle après la course contre la montre que déjà, le miroir vous renvoie un visage fatigué, des rides installées et d’autres, naissantes.

Les presque cinquante ans sont là, le chiffre qui effraie, l’âge qu’on veut taire mais qu’on ne peut qu’assumer.

C'est comment avoir ciquante ans ?

On tâtonne, on ne sait pas; comme lorsque petit, on ne savait pas s’orienter dans un monde encore inconnu.

Heureusement qu’il y a l’autre, même âge, même parcours, nos mains comme nos rires se rejoignent : on rit de tout, de nos cheveux plus blancs chaque jour, de notre myopie, de cette tendresse qui va grandissant, de la peur de se retrouver seul un jour.

Parfois une larme, un souvenir, vient rappeller les temps anciens où la maison résonnait d'autres rires, d'autres voix, quand trop de bruit faisait mal comme aujourd'hui le silence.



Le bonheur:

Il se sait éphémère, il ne le dit pas.

On le croise un jour par hasard, on le croit nôtre, il se laisse séduire, il fait bon être avec lui , on se dit: je vais le garder...pour toujours mais c'est ne pas le connaitre, le volage qui, à peine posé, s'enfuit vers d'autres bras.



Le blanc:

Toute une nuit passée à classer mes idées, à bâtir mon roman, à prendre de bonnes résolutions : je me remets à l'écriture, la pause a assez duré, ce mal qui me ronge , je ne peux l'exorciser que par elle.

Je m'installe :

Bureau face à la mer, le soleil à chacun de ses pas, plus éblouisant. Ciel bleu, sans l'ombre d'un nuage. Je me frotte les mains, j'y suis...presque.

Feuille et stylo sont prèts.

Mais c'est compter sans ce blanc, il s'invite, s'installe, prend place auprès de moi et les occupe lui, mon esprit, ma feuille.

J'ai beau lutter, le soleil poursuit sa course, ma montre aussi, le blanc se propage. Désespérée, je me lève, déchire l'innocente immaculée, remet tout à demain... s'il est d'accord.



Contradictions:

Comme j'aimerais avoir un jour le dernier mot, même si j'ai tort mais il y a toujours quelqu'un à relever la faute, à interdire les faiblesses, à dire ce qu'il faut faire.



Routine:

On dit qu'elle tue.

Pourtant on s'en relève chaque jour, on va vers elle et quand elle casse, on est perdu.

Le réveil qu'on remonte de sa propre main et qui sonne inlassablement le matin à la même heure, le café qu'on prépare les yeux fermés: deux verres d'eau, quatre cuillères de poudre, ne jamais changer de marque de peur de...

Servir dans les mêmes tasses, s'asseoir aux mêmes places.

Mon boulanger, mon boucher, je leur suis fidèle. Routine des goûts aussi.

Ouvrir la télé, ces info, j'ai l'impression qu'on nous repasse le plat de la veille: les mêmes images, les mêmes guerres, toujours le même qui gagne sur tous les fronts.

Clonées nos journées, les unes sur les autres.



Ameline