Destination : 7 , Objet banal mais capital.


Un ange gardien

-Maman, regarde mon tablier!
-il est propre et bien repassé!
-Oui, mais..... regarde bien, il lui manque quelque chose.
-Qu'est-qu'il lui manque? je ne vois rien d'ici, tu sais que de
loin...
et puis je préfère que ce soit toi qui me le dise, je suis vraiment
très occupée.
-Un bouton maman, il est tombé depuis ce matin, si tu pouvais m'en
mettre un autre!

C'est toujours quand j'ai le plus à faire que les enfants ont besoin
de moi, aujourd'hui, je suis particulièrement contrariée : Coudre,
je n'aime pas coudre, d'ailleurs je le fais trés mal mais je ne vais
pas laisser mon fils aller à l'école avec un tablier si peu
présentable!

A contre-coeur, je lui demande de mettre le tablier sur son lit,
j'arrète ce que j'étais en train de faire, je m'essuie les mains sur ma
jupe déjà tâchée par les éclaboussures du repas sur le feu, éteint tout
et quitte la cuisine.
Je cherche le necessaire de couture, le trouve au fond d'un tiroir
où je l'ai mis depuis une éternité et je rejoins mon fils dans sa
chambre.
Commence alors la recherche d'un bouton semblable à celui qui est
tombé.
Un vrai fouillis cette boite où j'ai eu la présence d'esprit de mettre
tous les boutons de rechange que je trouve à l'envers des nouveaux
vêtements.
Il y en a de toutes les couleurs, gris, marron, noir mais de bleu
marine, il n'y en a point!
Je renverse la boite sur le lit, mon fils essaie de m'aider,
groupe les boutons par forme, par couleur, par nombre de trous,
il s'oublie, se met à siffler , fait des ensembles à deux,
trois ou plusieurs boutons,il se trouve à l'étroit sur le lit, déménage
sur le sol et moi, qui ne m'y retrouve plus!
Soudain,j'ai une illumination, mon tablier d'écolière bleu,le dernier,
celui que je n'ai pas voulu que ma mère donne à ma soeur cadette!
J'aurais tant aimé conserver ce tablier intact comme on garderait une
photo en noir et blanc, plus pour l'émotion que pour la photo mais le
temps n'est plus aux sentiments.

A pas lourds, je monte au grenier. Je sais dans quelle malle
j'ai mis ce tablier comme tout ce que j'ai rangé d'ailleurs en venant
habiter cette maison bien avant l'arrivée des enfants, un an à peine
après mon mariage : Mes livres, mes cahiers, mes peluches, tout ce
qu'une main étrangère ne doit pas toucher.
Le tablier restera là, un seul de ses boutons ira rejoindre ceux
du tablier de mon fils, partager avec lui ses joies, ses peines,
peut-être même deviendra-t-il son ange gardien par le pouvoir de
l'amour .

Rêveuse, je me projette avec le bouton dans l'avenir: Demain, ce
bouton, affrontera de nouveau la lumière du jour, une lumière si
différente de celle qu'il a connue avec moi, petite écolière dans une
école de filles,
à la discipline stricte où le rire fusait rarement, où l'on jouait
timidement sans bruit à l'ombre du préau, au furet, à la corde ou à
l'élastique ;

Avec mon fils, il sera bousculé devant l'école, participera à des
courses sans fin dans la cour, prendra part à ces bagarres dont seuls
les garçons ont le secret, se mettra de nouveau en rang, subira le
regard sévère de la maîtresse, peinera sur ses problèmes de maths et
sur sa rédaction puis, libéré par la sonnerie, détalera à toutes
jambes en direction de la cour, jamais rassasié de jeux.

Ameline