Destination : 86 , Droit dans le mur !


Paradise Island

Tous les murs qui emprisonnent ne sont pas en béton armé, en briques rouges ou surplombés de barbelés. Il en existe de plus discret.

Celui qui m’entourait s’appréciait sur des millions mètres cubes d’eau. Une eau plutôt salée, regorgeant de poissons exotiques, de coraux et de quelques gardiens, déguisés en requins, surveillant les rivages et goûtant parfois
aux mollets de surfers aventuriers. A l’intérieur de ce mur, un paradis.
Enfin, c’est comme cela que les autres, ceux qui y venaient par curiosité,le nommait. Ou ceux que j’avais rencontrés en allant voir Mémé à l’autre bout de globe, sur un territoire qui était lui aussi apparemment français.
Sacré Mémé ! Chacun regardait, ébahi, la vieille dame leur
raconter sa petite fille de treize ans sur l’île de la Réunion. En guise de réponse, l’identique exclamation concluait la féerie ressassée :

- « Et bien, elle en a de la chance, cette petite ! ».

Cela s’entend ! L’usage assimilé me faisait acquiescer d’un sourire. J’avais
de la chance ! Du moins, fallait-il le soupçonner, à force. Il leur paraissait inouï d’aller n’importe quel jour de l’année à la plage, de regarder tous les soirs le coucher de soleil sur la mer, de porter tous les jours un tee-shirt, de cueillir des bananes et des noix de coco dans le
jardin. D’ailleurs, j’ai horreur des noix de coco !
Quelles auraient été leurs réactions si je leur avais expliqué que je rêvais d'un manteau, de m’enfoncer dans la neige comme à la télé, d’attendre impatiemment chaque saison - quatre, ils en avaient – et de découvrir une région, un pays, une langue en prenant la voiture ou le train ?
Quitter Mémé, c’était quitter la féerie.

Sur l’île, nous reprenions immédiatement une activité parfaitement anodine ;plage, cueillette de bananes, leçons de français et de mathématique en savates deux doigts appelées « tongues » en Métropole, puis
plage, plage, plage ; éternellement.
Sur l’île, le soleil fait ses heures de pointe une bonne partie de l’année et laisse un droit de regard au cyclone
durant cinq mois, tout de même. Si certains profanes imaginent un climat constamment ensoleillé, je leur rappellerai le sucré de nos mangues et de nos lychees. Il pleut sur le paradis. Mais oui ! Sinon, l’éden serait un
désert emphatique. Et encore, je ne connais pas bien les régions désertiques
Sans doute, suis-je profane en la matière ? En revanche, ils ne se trompent pas sur l’essentiel farniente, partagé par notre thermomètre. Le paresseux ne descend guère en dessous de vingt degrés le long des côtes, et fait rarement l’effort de monter à plus de trente cinq. Ce lieu est un paradis,je confirme.
Mais l’éden est clôturé. Un mur, comme celui qui emprisonne Roberto de la Grive, coincé sur son bateau. Le personnage d’Umberto ECO bloqué, puisqu’il ne sait pas nagé, ne peut atteindre l’île du jour d’avant.

Moi, j’appris à nager, une autre langue pour voyager. Et à l’heure venue, je pris mon envolée.
Comment peut-on quitter le paradis ? Un jour, mon voisin parisien en pointa l’insolite :

- « Quoi ? Vous avez quitté l’île de la Réunion pour vivre en Métropole ? Vous êtes folle ! » .

Je souriais. Je regardais tendrement le jeune homme dont l’exclamation si candide traduisait ses pensées :

Sur l’île de rêve, le matin, il fait beau. Forcément, au paradis ! On pêche le poisson dans le lagon que Fleur de Vanille, l’épouse belle et obéissante, va préparer dans
les feuilles de bananiers. Puis, on s’endort paisiblement dans le hamac accroché à deux cocotiers, parallèle à la mer. On s’endort, bercé par les accords de l’eau massant le sable d’or. On s’endort. On dort…
Allons réveillez-vous ! La Réunion, c’est quarante pour cent de rmistes ; trop d’automobiles pour le service routier, d’où les accidents mortels ; des viols ; des meurtres au coupe-coupe; des jeunes drogués à l’herbe locale ; des vieux saoulés au rhum local; des cyclones dévastateurs.
Ca aussi, c’est la Réunion !
Mais je souriais à l’ingénu.
Cette île n’est pas le paradis ; je confirme.

Quinze ans plus tard, je suis devenue métropolitaine à part entière. Evidemment, je pense à mon île. Un mur autour ? Quelle idée !
Je rêve de paradis.

Cathy-Laure