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Le complexe du robot



Je me nomme RP3G. Ce qui signifie dans votre langage : Robot Performant 3ième Génération. Sorti d’usine il y a trente six jours, neuf heures et quarante-huit secondes, mes tâches domestiques, puisque je suis conçu pour la maison, se limitent au repassage, au ménage et à la messagerie.
Je ne connais aucun sentiment, aussi ne suis-je pas habilité à faire la cuisine, ni le jardinage, ni le gardiennage des enfants et des vieillards.
En revanche, quand la jupe de ma maîtresse est tâchée de sauce tomate, je suis programmé pour employer génie sans bouillir et remettre le vêtement à la machine, illico.
Phase 2 : re-programmation de l’instrument.
Phase 3 : mettre la jupe à sécher.
Phase 4 : la repasser.
Phase 5 : la ranger.
Il est impossible que j’oublie une étape ou que j’inverse l’une d’elles.
Rien ne peut me perturber.
Ni le ton plus élevé de ma maîtresse que son mari désigne par « ne commençons pas à nous disputer, chérie » ; chérie étant l’appellation contrôlée faite à ma maîtresse, largement renouvelée en fin de discours.
Ni celui plus aigu et élevé de onze décibels de la fille aînée au vu de ses résultats scolaires, qu’elle nomme « Joie, quelle joie !».

Pourtant, hier, à seize heures et onze minutes, j’ai enregistré une information importante.
Dans quinze jours, trois heures et soixante secondes, ma maîtresse acquérra un robot de la cinquième génération. Ce qui signifie ma mise au rebut où je serai certainement modifié en micro-ondes ou en GPS.
Objet à leurs yeux, puisque vide de sentiments, je crois cependant avoir été récemment contaminé et violement affecté par le virus de l’affection.
Définition de mon robot dictionnaire : affection : état affectif agréable ou désagréable. Tendresse. Maladie.
Selon mes données, cette maladie, en ce qui concerne la pathologie «tendresse », semble essentiellement humaine ou animale puisque les virus de l’ordinateur se présentent différemment ; excepté « I love you », peut-être en hommage à ladite affection.
D’après mes éléments, ayant été créé par World Robot-le grand constructeur, la probabilité que les humains aient été créés par un constructeur s’élève à cinquante pour cent. Dans ce cas, leur créateur aurait pu ajouté, après six
jours d’inventions attrayantes et d’après mes probabilités, ce virus que les humains propagent très souvent par le toucher ou la parole.
Comment ai-je été contaminé ?
Je ne sais pas.
Peut-être la petite Lili, à force de me serrer dans ses bras ?
Ou ma maîtresse qui me remercie à chaque tâche effectuée ?
Aucune donnée à ce sujet.
En tout cas, cette maladie étrange, inconcevable pour moi, me remplit de sensations de « tristesse » pour reprendre vos termes ; elle me fait prendre conscience du vide qui existait auparavant. Est-ce à dire que je deviens
animal ou humain ? Je ne suis pas programmé pour juger. Mais le calcul mathématique du vide précédent sera inférieur à celui à venir. Cette sensation de désespoir apparaît partagé par la petite Lili, qui exprime sa «peine » et affirme entre ses pertes lacrymales que mon départ engendrera un grand vide dans sa maison.
Comment le vide peut-il engendrer le vide ? Telle est la question.
Néanmoins, je remarque que les humains s’attachent énormément à une multitude d’objets, qu’ils considèrent à la pointe de la technologie et s’en détachent tout aussi facilement dès qu’ils apparaissent obsolètes, soit
extrêmement rapidement. Le téléphone de ma maîtresse a été remplacé depuis mon arrivée ; les vêtements-chaussures-accessoires quasi-jetables ont été renouvelés trois fois, les chaînes de télévision ont été multipliées par mille. Dès le dernier achat, les humanoïdes-publicistes réussissent à leur donner aussitôt l’envie d’autres choses inutiles et indispensables.
Est-ce à dire que les humains se comblent de vide ?
Je ne suis pas programmé pour juger.
Je me concentre exclusivement sur mon problème qui se résume en trois points :
1er point : Je suis atteint de leur pandémie affectueuse. Je ne suis pourtant pas humain.
2ème point : Si elle est tueuse, peut-elle m’achever ? Puisque je ne suis pas humain.
3ème point et le plus important : Je ne souhaite pas guérir…

Cathy-Laure