Destination : 86 , Droit dans le mur !


Lumières sur les murs de la ville


Vendredi 9 décembre, nous voilà en route pour la Croix Rousse, 4ème arrondissement de Lyon où habite depuis peu notre étudiante de fille. Elle nous a invité à participer à la fête de la lumière. Elle a découvert l’édition 2006 hier soir avec des copains de faculté et elle est rentrée si enchantée que ce soir, elle s’est proposée avec son ami de nous guider son père et moi. Elle a également convié son frère, sa sœur et leurs conjoints.

En fait, ces festivités datent de 150 ans .A l’origine, le 8 décembre 1852 devait être inaugurée une statue de la vierge Marie sur la colline de Fourvière. Alors que la fête se prépare, un orage éclate et menace une nouvelle fois la cérémonie. En effet, celle ci initialement prévue le 8 septembre avait été reportée à cause d’une crue de la Saône. Fort heureusement, le temps redevient clément et la population dans un élan spontané illumine les fenêtres et descend dans la rue. Les murs de la ville s’embrasent, la fête de la lumière est née.
Dès lors, selon la tradition, chaque habitant dépose le soir du 8 décembre sur le rebord extérieur de ses fenêtres, des bougies, genre chauffe plat dans des verres colorés. Depuis plusieurs années, la tradition a été reprise par les professionnels de l’éclairage et durant 4 nuits consécutives, les promeneurs sont invités à déambuler dans tous les arrondissements de la ville dans une lumière festive.

Nous arrivons. Difficile de se garer sur les pentes escarpées de la Croix Rousse baptisée par les Canuts « la colline qui travaille » en opposition à Fourvière « la colline qui prie ». Mais je sens poindre une question, c’est qui les Canuts ?
Les canuts étaient des ouvriers de la soie, leur corporation fut crée à Lyon sous François 1er. Artistes d’une remarquable habilité, au début du XIXème siècle, ils ont investi la Croix- Rousse et construit de hauts immeubles pour y installer les métiers Jacquard qui faisaient presque quatre mètres de haut. Ils travaillaient plus de 18 h par jour et étaient à peine rémunérés.
Au cours de la révolution française ils se sont retrouvés dans la misère et pour survivre les maîtres ouvriers durent vendre les décorations en or et argent de leur canne de compagnonnage. A leur passage on disait « voici les cannes nues » ce qui devint rapidement les canuts.

Mais revenons à notre soirée ! Le temps de tous nous retrouver et de prendre un verre dans le petit studio de notre fille et nous nous dirigeons vers le métro. Les murs ont déjà revêtues leur habit de fête, lampions, bougies, guirlandes à profusion. Je ne résiste pas à l’envie de trabouler pour rejoindre la station, il faut avouer qu’elles sont bien pratiques ces traboules.
Raccourci permettant de circuler d’une rue à l’autre, perpendiculaires aux rues et typiquement lyonnaises, elles évoquent une idée de débrouillardise, de connaissances des lieux. Elles permettaient autrefois aux Canuts, toujours eux, de transporter la soie à l’abri des intempéries. En effet, à l’époque, faute de place pour aménager des rues, tout un réseau de passages, sous les habitations, a été mis en place reliant les immeubles par des couloirs voûtés d’ogives et de cours intérieures. Leur aspect pittoresque et l’architecture méritent le détour, escaliers à vis, façades et galeries renaissance ont aussi abrités les allers et venues clandestins des canuts durant la grande révolte de 1831 et des résistants lyonnais durant la guerre de 39/45.


Le métro nous dépose place Bellecour. Au centre trône majestueusement la statue équestre de Louis XIV qui semble surveiller le défi lancé aux lyonnais : acheter des lampions au profit de l’association caritative le petit monde pour former une fresque géante de 28 mètres. Trente mille bougies disposées habilement sur des repères seront nécessaires pour faire apparaître le motif de la fresque. Gardé secret, nous ne le découvrirons que plus tard, à la fin des réjouissances. Pari tenu, bravo les lyonnais ! Il s’agissait du Petit Prince, emblème de cette association dont le but est la construction de logements pour les familles des enfants hospitalisés.
Une foule immense a déjà envahi Lyon. Un esprit de fête, de partage a gagné les rues. Partout des stands où l’on peut se désaltérer et se restaurer. Une odeur de cannelle et de vin chaud vient nous chatouiller les narines puis, des senteurs de sucre, chocolat, crêpes et gaufres font naître une petite faim gourmande à laquelle nous ne résistons pas.

Nous continuons notre périple jusqu’à l’hôtel Dieu. Les façades de l’hôpital on été elles aussi habillées de lumière. L’éclairage de chaque face du bâtiment, intense, successif puis simultané découvre petit à petit un immense cube de lumières.
Nous n’hésitons pas à trabouler de nouveau de la rue Bellecordière jusqu’au quai Jules Courmont pour traverser cette espace poétique.
Nous revenons sur nos pas et prenons la rue de la république. Eblouissement ! C’est toute une architecture de lumières qui s’offre à nous, arches et candélabres, d’un mur à l’autre, dans la pure tradition décorative de la renaissance italienne, des milliers d’ampoules colorées, agencées en dentelles de lumière, une féerie visuelle.
Un petit tour par la rue Edouard Herriot auréolée d’une lumière bleutée et nous atteignons la place Louis Pradel.
Stupéfaction ! Yeux écarquillés et bouches bées comme des enfants ! 20 bouquets d’herbes géantes dévalent l’escalier de la place et s’illuminent de lucioles rougeoyantes. Leur reflet dans le dôme de l’opéra qui leur fait face, crée une voûte scintillante. C’est d’une beauté à couper le souffle et il nous vient à espérer que ces merveilleux bouquets restent là à jamais.

Il est l’heure de nous rendre aux Terreaux. C’est là, traditionnellement qu’est donné le clou du spectacle. Une petite angoisse me saisit devant la marée humaine qui déferle en même temps que nous. Je m’efforce de chasser mon appréhension en me concentrant sur la magie de cette ville illuminée et sur la promesse d’un très beau moment
L’imposante fontaine de Bartholdi, au centre de la place, œuvre de pierre et d’eau, est investie par le feu et la brume. Il est 19 heures. Basé sur les 4 éléments, le spectacle commence.
La façade de l’hôtel de ville s’enflamme tandis que des danseurs de lumières se balancent autour d’une planète terre dans un fantastique ballet aérien. Soudain, c’est le vent et l’eau qui passent sur la foule, clin d’œil à la brume froide des deux fleuves. Les joueurs de lumière poursuivent en musique leur gracieuse voltige, suspendus au bout de câbles flamboyants. La place des Terreaux est transfigurée, la planète terre se promène sur un axe tandis que des acteurs, tels des pantins scintillants, enfermés dans des bulles, entament au son d’une musique toujours plus envoûtante, une marche étrange et surnaturelle.

Difficile de reprendre ses esprits après avoir été transporté dans un tel univers. Il nous faut pourtant nous extraire de la foule. Cela ne sera pas chose facile et prendra un certain temps mais tant pis, ce que nous avons vu valait bien quelques désagréments.


Enfin libérés, nous nous dirigeons vers le petit bouchon que les enfants ont judicieusement retenu pour dîner. J’adore ces minuscules restaurants n’existant nulle part ailleurs et où l’on ne sert que de la cuisine lyonnaise.
Du temps des canuts, décidemment encore eux, les bouchons étaient des auberges servant vin et mâchon, casse croûte à base de cochonnailles. Ils se distinguaient par un bouchon de paille accroché à leur enseigne. Aujourd’hui, ils demeurent un espace chaleureux où baigne une atmosphère bon enfant. Ils perpétuent la tradition culinaire, de la cochonnaille copieusement arrosée de beurre, crème et sauce au vin. Un conseil ! Ne rien laisser au bord de l’assiette sous peine de s’attirer les foudres du patron.
Nous nous régalons au choix et suivant les envies de chacun de quenelles de brochet, de tablier de sapeur, de cervelle de canut, - rassurez vous il ne s’agit que de fromage- d’andouillette, de salade de museau.
Et là, un vrai plaisir m’envahit. J’ai le sentiment d’appartenir à cette ville, d’y puiser mes racines. Je me sens chez moi entre ses murs, en communion avec ce qui m’entoure Je suis heureuse de profiter de ces instants avec les enfants. J’ai l’impression de leur donner ma ville en héritage, parée de ses plus beaux atours et je sens qu’ils sont sensibles et apprécient l’intensité, la magie, la beauté de cette soirée.

Nous reprenons notre parcours. Nous sommes à présent devant la fresque des lyonnais Je trouve très attachant ce mur peint. Réalisé il y a 11 ans, par la cité de la création, il met en scène une trentaine de lyonnais célèbres. C’est pour moi un très original patrimoine culturel. Ce soir, la fresque a fait l’objet d’un habillage spécial. Une bâche sert d’écran pour une projection d’images sonorisées faisant revivre et dialoguer Louise Labé, les Frères Lumière ou St Exupéry. Les images s’enchaînent au gré de la narration et de la musique tandis que des nappes de lumière nous plongent dans l’espace temps. Nous reprenons notre promenade, découverte originale du centre de Lyon pour ma future belle fille.
Lors de notre déambulation, nous nous arrêtons sur les grilles du métro, des installations souterraines transforment en surface l’atmosphère. Etonnant ! Nous plongeons dans des ambiances différentes. Ici, celle d’une cuisine en pleine activité et là celle d’une locomotive à vapeur qui démarre, Confrontés à des sons, des odeurs, des bruits multiples, tous nos sens sont en éveil Ces intermèdes amusent beaucoup nos grands enfants et les commentaires et rires vont bon train.

Nous traversons la Saône pour découvrir la Cathédrale St Jean habillé d’une danse de lumière. Bleu, rouge et jaune s’entrecroisent, s’enlacent. Les 3 portails de la primatiale semblent s’ouvrir sur des mondes imaginaires, qui se multiplient sur toute la façade. Devant nous, se dresse la colline de Fourvière et sa basilique. Des flots incandescents serpentent dans les forêts, la végétation devient mouvante. Des cascades de couleurs révèlent la beauté des lieux avant de se déverser dans les eaux de la Saône. Puis, la silhouette de la colline se sculpte d’édifices sacrés dont les fenêtres et multiples niches s’éclairent de doré comme autant de lumignons tandis que l’architecture se drape de bleu.

Nous décidons de monter jusqu’à la basilique pour jouir d’un point de vue d’ensemble sur la ville. La montée est rude mais nous prenons plaisir à cette marche de nuit dans la fraîcheur de la nuit étoilée et scintillante Du haut de la colline, à l’abri de la basilique, nous surplombons la ville, Lyon est à nos pieds sous un halo de lumières. C’est une merveille ! Notre point de vue en hauteur nous permet un vison circulaire de l’ensemble de l’embrasement des murs de la ville et dans le lointain, nous apercevons les berges du Rhône. De grands containers peints en rouge bleu et jaune s’illuminent. Deux colonnes rouges encadrent le pont Lafayette et deux colonnes bleues le pont Wilson tandis qu’une cinquième tour de couleur jaune achève l’ensemble.

Ivres de lumière nous redescendons. Nous avons un peu de mal à nous séparer. Enfin, la fatigue aidant, chacun rentre chez soi, la tête encore pleine d’images colorées. Nous reprenons la voiture et pour rentrer à la maison, passons devant la cité internationale. Tous les trente mètres, des faisceaux lumineux pointent vers le ciel. Voilà c’est fini ! Lyon nous dit au revoir. C’était magique, chaud, lumineux, presque irréel. Certes beaucoup de monde mais quelle fête !

Cette soirée a été un bain de jouvence, un moment de partage en famille. Dans la beauté de ma ville illuminée , oubliés petits et grands soucis , envolés dans la féerie, et nous garderons au plus profond de nous, le doux souvenir des murs de lumière pour éclairer au quotidien, la grisaille, la noirceur d’autres murs.

Chrystelyne