Destination : 45 , Marathon de mots


Marathon

L’ air vif sentait bon le champignon. Sous la huée du vent sifflant un chant
d’ automne, le commissaire Garofoli franchit à pied la grille d’ un parc
majestueux.
Ce matin, il avait du se rendre au tribunal pour assister au prologue du
procès du croque-mitaine qu’ il avait arrêté deux ans auparavant.
Le brigadier chef Duraton avait donc établi les premières constatations d’
une affaire qui s’ avérait compliquée.
La lecture des rapports de Duraton est toujours un moment grandiose :

-« Ce jour, une nouvelle affaire d’ homicide nous amènent au château de
monseigneur Guilledou
Aucun dégât n’ est à déplorer à l’ exception d’ une seule et unique victime.
L’ homme, sûrement un touriste, car il porte un bermuda et un appareil
photos, gît les bras en croix sur le dallage de l’ entrée. Un violent coup
sur la tête semble indiquer une mort naturelle. Mais un suicide n’ est pas à
éliminer. Toutefois, il est probable que le suicidé a été lâchement
assassiné. La victime est morte juste au moment de notre arrivée et nous
avons été obligés de constater le décès avant que le mort ne décrive son
agresseur.
Le gardien pourrait être un témoin à surveiller de prêt. L’ homme, court sur
patte, la cartouchière aux côtés, nous a très mal accueilli. Le pas mal
assuré, il avait sûrement du arroser d’ une bonne bouteille son travail
matinal. Il a menacé que si on le prenait sur ce ton, lui aussi le prendrait
sur ce ton, et, bien que baragouinant dans sa barbe, quand il a dit « espèce
de gros con » dans son dos, l’ adjudant Lapierre s’ est aussitôt reconnu.
Alors, on a décidé de l’ emmener au commissariat. Un mystère épineux
subsiste La chaussure gauche de la victime était à droite et la droite à
gauche. Pourquoi intervertir les sandales que soit dit entre nous, l’ homme
portait avec des chaussettes ce qui est du plus mauvais goût… »

Garofoli avait souvent précisé à son brigadier que les commentaires
personnels étaient à exclure d’ un rapport de police. Mais, s’ il était
arrivé à lui faire ouvrir une porte sans la défoncer, sur ce point, il n’
avait pas encore obtenu de résultat positif, car le prosateur crédule
refusait d’ être un bureaucrate asservi à la froideur du système et pensait
mettre une touche de poésie dans ses annotations individuelles.
En fin de matinée, le commissaire avait apprit que la victime se nommait van
Appledorn. C’ était un journaliste renommé dans le monde clos des historiens
chercheurs de trésor. Il travaillait pour la revue du bluff mais était
souvent soumissionnaire pour le journal la tribune. Il était célèbre pour
ses recherches sur la guerre de Crimée. Il fréquentait depuis quelque temps
la nombreuse parenté de monseigneur Guilledou que Garofoli venait interroger
Cet ecclésiastique l’ inquiétait. Il courrait sur son nom des histoires
étranges de société secrète. Membre de l’ Opus Dei, le prélat entretenait
autour de lui une aura de mystère
L’ enquêteur avançait doucement le long d’ une allée plantée de rosiers au
bord de l’ anémie. Dans le beau parc triste, les émondeurs taillaient les
grands hêtres. Des jeux d’ enfants, abandonnés, gisaient ça et là. Un
cerceau émergeait du bac à sable, aux côtés de petits seaux de plastique
décoloré. Les grands murs avaient stoppé la course folle des feuilles mortes
qui, par endroit, s’ entassaient avec les bogues épineuses des châtaignes et
les strobiles secs tombés de l’ énorme pied de houblon agrippé à la façade
de la maison du gardien.
Derrière le bâtiment, Eugène Duraton jouait les Sherlock Holmes dans le
jardin potager qu’ il devait râteler. Le jardinier avait commencé à labourer
et un billon bien net se dressait tout au fond de l’ enclos.
Garofoli espérait qu’ après le long tête à tête qu’ il avait eu avec son
subordonné, ce dernier saurait maîtriser son humeur fantasque et éviterait
d’ intervenir de manière intempestive ;
Il fut introduit dans un petit salon cossu. Une lumière pâle filtrait au
travers des épais doubles rideaux grenat. Deux vieux fauteuils aux
marouflages usés, encadraient une cheminée massive sur laquelle trônait la
photo sépia d’ une très jeune femme.
L’ évêque pénétra discrètement dans la pièce. Garofoli le salua avec
révérence. C’ était un vieil homme mince au regard acéré et cruel. Un de ces
hommes qui ont l’ habitude de vouloir séduire de prime abord.

-Vous admiriez le portrait de ma mère ? Je vous comprends. Une personne fort
belle, celle que j’ ai le plus aimée au monde ! Que puis-je pour vous cher
Commissaire ?Je n’ ai que peu de temps à vous accorder, je dois retourner ce
soir au Vatican ou je mène de longues et difficiles négociations, un vrai
marathon….

Corinne