Destination : 26 , Une bouteille à la mer


A la terre, à la mer j'ai confié (réponse)

2004.

Je rentre de mon expédition au Cap de la Chèvre, abattu. Ma dame-jeanne, avec son air de rien, fourrée d'une centaine de pages dactylographiées, était lourde et encombrante. J'ai de la peine de m'en être séparé. Je devrais écrire une nouvelle à son propos ; au moins, il me resterait quelque chose d'elle. Ecrire, toujours écrire. Je n'écrirai plus une ligne, je vais attendre un miracle, un signe du sort, un signe de ma dame-jeanne. Si, au bout d'un certain temps, mon appel reste sans réponse, je renoncerai à écrire, à vivre.



Mu par un désir qui ne souffrait aucun délai, j'ai sauté dans la voiture, à l'heure où la France entière se met à table devant les informations du soir. J'étais seul sur le promontoire, malgré la saison touristique, à contempler l'infini qu'un minuscule filet de feu incendiait encore. Ensuite, j'ai descendu les escarpements de la côte jusqu'à la grève déserte. Je me suis avancé vers l'eau et j'ai accompli le geste pour lequel j'étais venu. Ma dame-jeanne, frêle vaisseau ballotté dans l'immensité marine, transporte en ce moment mon manuscrit vers l'inconnu.



Dans mon empressement, j'avais laissé la porte de la cave ouverte. Il serait raisonnable de dîner, comme la France entière, c'est l'heure. Je descends. Suffisamment de lumière pénètre encore par le soupirail. Je vais ranger tout ce que j'ai déplacé, le petit vélo de ma fille, ma caisse à outils, une cantine en fer, un seau, la pelle, le râteau de jardin, les décorations de Noël. Je regarde avec nostalgie l'étoile de faîte, le Père Noël bleu. Je sais déjà que, cette année, la petite passera les vacances et les fêtes de fin d'année avec sa mère, en montagne. Un Noël sans mes parents, disparus à peu de mois de distance, l'année dernière. Un Noël sans ma fille. Sans mon passé, ni mon avenir, nu.



Je me prends les pieds dans le râteau et trébuche. Instinctivement, je pose la main droite sur la terre battue, sur la surface libérée par la bonbonne vide. Je me redresse mais la sensation d'une aspérité anormale persiste sur mes doigts. Un clou ? Dangereux. Je me penche, tâtonne. J'ai trop présumé du jour, je ne vois rien.



Un mouvement d'air vif fait battre la porte en haut de l'escalier. Je vais vers l'interrupteur, j'allume. Ce clou, où est-il ? Je tâtonne encore puis, sous le bout de l'index, je sens, à travers une mince couche de terre, une petite tige de métal. Je vais pour ramasser ce clou et j'attrape. une poignée. Je tire, mais perçois une résistance. Je creuse avec la pelle à sable. Après de longs instants d'effort et d'interrogation, je découvre un coffret en fer. Impossible d'en ouvrir le cadenas sans clé !



Manger, je ne le puis. Angoisse. Qui m'a jeté un sort ? Qu'y a-t-il dans cette boîte, qui l'a enfouie là ? Pourquoi ne l'ai-je pas remarquée plus tôt ? Les questions m'assaillent. En tirant la cantine, j'ai raclé le sol, je ne vois pas d'autre explication. Etrange soirée ! Je remonte pour la confier à un journal de bord que j'entame. Il y a eu la vie avant le lancement de la dame-jeanne à la mer et, à partir de ce soir, il y en a une nouvelle, peut-être brève mais ensorcelante.







12 juin 2004



Dois-je porter cette cassette à un serrurier ? Non. J'ignore ce qu'elle contient. Un secret ne se divulgue pas ainsi, tout de suite, à un large public. Mon CD-ROM, j'aimerais que la personne qui le trouve l'introduise en catimini dans l'ordinateur et se love confortablement dans un fauteuil pour découvrir mon oeuvre, ou bien encore l'imprime et la lise dans ses moments de solitude. Tout d'abord un partage, une communion de deux âmes à travers le temps, c'est ce que j'attends. La bouteille à la mer y ajoute la dimension de l'espace. Vers quel bout de la planète vogue mon message ? Edité à Tahiti, pourquoi pas ? Je connais un écrivain français qui publie pour les enfants. Il vient de rédiger un recueil de poèmes pour adultes. Son éditeur le lui refuse sous prétexte que sa réputation d'auteur pour enfants le précède et nuirait à l'achat de sa dernière production. Je hais ces mots, affaires, rentabilité ! A Tahiti, sûr qu'ils se moquent de ces notions !



Tant pis, j'y vais au tournevis, au ciseau à ferraille. Il faut que je vienne à bout de la serrure de ce coffret. Crocheteur, une occupation d'ordinaire plus « rentable » que celle de « scribouillard ». La taule ? La vie est une prison. Je m'acharne sur l'objet qui me résiste et cède enfin. Un papier que je soulève et. des louis d'or. Panique, quel coup du sort, qui, pourquoi, que vais-je en faire ? Tant de questions me harcèlent, je pose le coffret sur la cantine et je retourne à l'ordinateur.







La boîte est devant moi, sur mon bureau. Je suis redescendu, je l'ai prise et nettoyée avec un chiffon qui traînait là. Je tremblais. Maintenant, je déplie la feuille et je lis.







Je comprends que les louis d'or m'appartiennent, que j'ai une petite fortune entre les mains grâce à mon S.O.S., que je vais écrire à n'en plus finir, que ma fille pourra être fière de moi. Je suis libre, vivant. Plus précieux encore, j'ai un ami surgi du passé. Je puiserai le sujet de mon troisième roman à la source de sa vie, brève mais ensorcelante, je le ramènerai à la vie. L'amour, la guerre, les deux antagonistes parfaits qui l'ont conduit du berceau à la couche de la camarde qui l'a fauché, à l'âge d'homme tout juste arrivé, je les dirai pour lui. Et nous commencerons la chaîne d'amitié. Le titre de mon prochain ouvrage ? Les premiers mots de sa missive : « A la mer, à la terre, j'ai confié. ».



Souvent, l'espace garde ses distances ; le temps, lui, ne m'oubliera pas. Souvent, la mer garde ses mystères ; la terre, elle, ne me trahira pas.



Danile