Destination : 148 , En ville d'Ailleurs


Aller-retour.

Aller-retour.



Dans les courants d'air glacés de la gare , deux silhouettes sur un banc sont soudées l'une à l'autre , pour résister au souffle puissant des lignes qui se croisent, en rugissant telles des fauves, comme pour masquer la détresse des adieux et des peines rentrées.

Les portières s'ouvrent avec fracas, aspirent les corps et les valises, les arrachent du quai, puis se referment sans pitié.

Il est seul, à présent. Son pas résonne sur le pavé, dans les ruelles sombres, entre les façades aux fenêtres closes, endormies.

Un croissant de lune, au-dessus des toits, fait son quart , bienveillant.

Son amour est parti.

Le parc, si riant le jour, est devenu une sombre et inquiétante forêt où règnent des sortilèges. Les arbres décharnés dessinent des ombres à l'affût.

La nuit, la ville sans étoiles, la ville insomniaque se met au ralenti. Désertée, elle se pare de mystère . Elle clignote, s'illumine, s'habille de strass, aguiche, invite à l'aventure. Doucement, elle modifie les certitudes.

Ils ne s'étaient rien promis.

Dans les vitrines éclairées, les mannequins figés gardent la pose.

Il entre dans un bistrot, refuge des âmes solitaires. Accoudé au bar, il sirote un whisky. Dans le fond de la salle, quelques égarés chuchotent des vérités.

La porte s'ouvre, laissant entrer l'air glacé et un brin de femme emmitouflée. Elle déroule son cache-nez et commande un café. Ses yeux noirs pétillent. Elle lui adresse un sourire et trempe ses lèvres dans le breuvage brûlant, la tasse blanche entre ses doigts rougis par le froid. Perchée sur un tabouret haut, elle a la grâce de ces femmes chez qui l'enfance s'attarde.

Elle demande un sandwich, mais, à cette heure , il n'y a plus de pain. Alors, il sort de sa poche un "choco" emballé, elle l'accepte volontiers.

?Il y a si longtemps que je n'en ai pas mangé !

Elle le grignote avec gourmandise. Il ne la quitte pas des yeux.

Mais, elle fronce les sourcils en jetant un coup d'œil à la pendule.

?Il ne faut pas que je rate mon train!

Déjà, elle se rhabille et, se dirigeant vers la sortie, pose simplement sa main sur son bras.

?Au revoir, et merci pour le biscuit !

Elle sort et, sans réfléchir, il la suit.

Elle traîne une valise à roulettes. Il marche à ses côtés.

? J'espère que mon train ne sera pas en retard!

Elle a une voix cassée qui l'émeut. Il l'accompagne jusqu'au quai. Son train est à l'heure. Elle grimpe les quelques marches du wagon. Il l'aide à soulever sa valise. Elle lui adresse son joli sourire.

?Merci!

Ils se regardent en silence. Le train va partir dans un instant.

Alors, elle sort de sa poche un vieux ticket et y griffonne des mots. Il a juste le temps de l'attraper au vol, qu'un strident coup de sifflet retentit . Les portières se ferment automatiquement. Le sourire disparait dans la nuit.

Seul sur le quai, appuyé à un réverbère, il lit :

" Retour dimanche même heure"

Fabinuccia