Destination : 43 , Avril de poisson !


Aveux

Monsieur le Juge,

Depuis bientôt trois mois, vous m’interrogez, me convoquez, et nous n’avons finalement que peu échangé. Vous vous obstinez à me vouloir coupable, et moi je me contrains au silence. A peine osé-je émettre de temps à autre un léger ronron de moteur ; c’est idiot, mais c’est plus fort que moi, je fais ce drôle de bruit depuis que je suis tout petit ; mais je vois bien que cela vous agace.

Cette situation n’a que trop duré et j’ai décidé d’y mettre un terme.

Alors oui, j’avoue Monsieur le Juge. J’avoue mais je plaide non coupable.

Clémentine était bien trop belle. Elle me faisait de l’œil depuis plusieurs semaines ; depuis le jour de son arrivée d’ailleurs. Je m’en souviens, c’était un mercredi. Il avait plu toute la journée et je n’étais pas sorti. Lorsque Françoise est arrivée avec Clémentine, j’ai tout de suite senti mon cœur palpiter d’émotion. Sa jolie robe rouge ondoyait doucement, comme pour m’inviter à la rejoindre. Elle était pour moi, c’était sûr.

Clémentine ne cessait de passer et repasser devant moi ; toute la journée cela durait. On aurait dit que cela l’amusait de me narguer de l’autre coté de la vitre. Et je soupirais en la regardant…

Au moment du déjeuner, c’était encore pire : j’avais faim d’elle ! J’imaginais sa peau douce, son odeur parfumée. Lorsque je m’approchais un peu plus, elle me faisait les gros yeux, me signifiant de retourner à ma place. Jamais elle ne m’a adressé la parole. Jamais elle n’a fait le moindre geste vers moi.

Alors ce vendredi, j’ai succombé. Pendant votre pause déjeuner, j’étais seul avec Clémentine ; je me suis approché d’elle et je l’ai caressée doucement. Cette idiote a eu peur, elle a virevolté brusquement, s’est agitée inconsidérément, bref, le bocal est tombé.

Lorsque j’ai vu ma Clémentine là, par terre, agitée de soubresauts désespérés, je n’ai pas pu résister. De toutes façons elle allait mourir, alors je l’ai croquée. Oh je sais je n’aurais pas du. Surtout que j’étais trop pressé et une arête m’est restée coincée dans la gorge pendant deux jours.

Ca on peut dire que j’ai été bien puni. D’autant plus que ces poissons rouges, finalement ça n’a pas de goût.


C’est moche pour un poisson de mourir un premier avril. Un vendredi qui plus est. Je vous jure que ce n’était pas prémédité.




Votre bien dévoué Félix




PS : Pourriez-vous demander à Françoise, votre épouse, d’investir dans un plus grand aquarium et me ramener une truite ou un gardon la prochaine fois ? Au moins les choses seront plus claires : je saurai d’emblée que c’est pour moi, au lieu de tourner autour du pot pendant des semaines.

Framboise