Destination : 81 , Bien Loti(s)!


L'acceptation

Madame Chrysanthème. 1887
L’acceptation
Au petit jour naissant, nous aperçûmes le Japon.
Sur une mer étrangement calme le bateau m’amenait vers cette destinée que j’avais à peine choisie. L’île de Honshu se détachait dans ce matin brumeux, dominée par le Fuji Yama.
Un dégradé de rose nimbait le volcan rendant irréelle la calotte de nuages posée à son sommet.
Satoshi s’approcha de moi, enlaçant mes épaules, il me conta la légende de la princesse Kaguya … Depuis, on dit que les éruptions de Fuji San expriment le dépit amoureux de l'ancien gouverneur de la région du mont Fuji. La musique des mots me fascinait… Je m’envolais jusqu’au sommet de la montagne oubliant un instant le présent.
Le débarquement rompit le charme, me ramenant à la réalité que j’allais devoir affronter.
Pourquoi avais-je accepté d’épouser Satoshi ? Par amour ? Par désir d’aventure? Pour réaliser un rêve ? Non ! Seul le dépit avait dicté ma conduite. Le dépit amoureux, comme celui du gouverneur fou d’amour pour la fille du roi de la Lune.
Demain nous serons à Kyoto pour célébrer nos noces suivant le rite shinto.
Je vais vivre dans sa famille. Devoir respecter ses ancêtres, ses parents, obéir !
Comment a-t-il pu imposer son choix ? Epouser une femme qui n’est pas japonaise ! Une femme choisie par lui-même ! Peut-être parce qu’il est fils unique. Fierté de ses parents ! Comme ils doivent l’aimer pour accepter une telle mésalliance!
Moi, perfide et résignée, je laisse s’engrener les rouages ! Je dissimule mes pensées intimes et me conforme à ce que l’on attend de moi ! Demain dans mon kimono blanc je serais japonaise puisque je le veux, pusiqu'il le faut ! Je serais soumise à mon époux, respectueuse envers ma belle-mère. Qu’importe ! Mon cœur est déjà mort ! J'ai laissé loin en France un amour brisé.

Je ne suis plus que spectatrice de ma vie … l’étrange mariée que voila ! Les invités l’observent attentivement, redoutant un impair, un faux pas ... Ils ne sont pas hostiles seulement inquiets de ce que peux faire une "gaïjin".
Rien ne pourra me distraire de mon but. Les souffrances infligées par la coiffure alambiquée, les redoutables geta, le poids des kimonos superposés … tout cela me contraint mais permet de rester attentive et concentrée.
Les yeux modestement baissés, je tiens à faire honneur à Satoshi. Je ne doute pas de son amour. Sa sincérité n’a d’égal que sa naïveté, elle me touche profondémment.
La cérémonie se poursuit inexorablement, il est l’heure des offrandes … à chaque invité !
Une éternité plus tard nous pouvons enfin nous dépouiller du cérémonial et abandonner les apparats obligés.
Satoshi avec un enthousiasme tout nippon me remercie de l’avoir aussi bien accompagné dans ces rituels si difficiles à appréhender, pour la française que je suis !
Demain la vie de mon mari reprendra son cours habituel.
Demain j’irais dans Kyoto, me recueillir au Grand Sanctuaire d'Heian, prier la déesse du soleil.
Dans le vaste jardin je retrouverai le calme et la sérénité nécessaires à ma nouvelle vie.
Je me dépouillerai de tout ce qui était moi …
Ô Amaterasu Omi-Kami lavez-moi bien blanchement de ce petit mariage, dans les eaux de la rivière Kamo ...

F�lix