Destination : 46 , DEUXIEME ANNIVERSAIRE Mémoires d'Ailleurs


Chap IX : Crime "Arlequin"

J'ai rien dit, je vous ai écouté, parce que de toute façon
je sais que mon avis, dans c'te rue, vous vous en tapez pas
mal. Mais là, désolé, il faut que je réagisse.

Franchement, ce délire sur cette bonne femme qui ce serait
embrochée toute seule sur le couteau de l'épicier, c'est
n'importe quoi. Ça ne tient pas en l'air. Ça me fait
doucement rigoler.

Il n'y a qu'un jury d'assises qui soit assez con pour gober
une histoire pareille.

J'étais en train d'arnaquer ce grand con de Brandon -- où
ils ont péché son nom, à celui-là, je te dis pas ! À l'école
on l'appelait Branlon ! -- en lui vendant un bout de teuchi
à trois fois le prix qu'il vaut. De toutes façons, il se sert
dans la caisse.

On était dans la cuisine, l'appart est derrière l'épicerie,
on était venu couper un bout de vingt dans la savonnette,
et on se fumait un gros beuze. Et on a rien vu, mais on a
tout entendu.

Le Raoul, quand il gueule, on l'entend à travers la porte,
pas de souci. Les deux gisquettes, c'était moins évident,
mais encore bien assez. En gros, je vais pas vous raconter de
salades, le Raoul il est bien gaulé, et puis il se balade en
débardeur toutes la journée dans son bouiboui, c'est connu
qu'il se tape la moitié des bonnes femmes du quartier ! Et
l'autre moitié pense à lui en se tapant des rassis. Mais
voilà, ces histoires de cul ça finit toujours par foutre la
merde : la mère Pluche était venue se faire mettre une petite
secousse, et elle était arrivée pile au moment où l'épicelard
entreprenait une autre cliente. Et comme cette cruche
s'imaginait des conneries, s'pas, genre « Arlequin », comme
quoi c'était l'amour romantique et pur entre elle et lui, elle
a commencé à piquer sa crise. Et c'est parti pour le crêpage
de chignon.

Le Raoul, il a donc gueulé un bon coup pour les calmer, et puis
les claques ont volé, on les a bien entendues. Ça a ramené le
silence un instant. Et puis on a entendu la Pluche qui faisait
un truc comme « Salope ! Allumeuse ! Sale pouffiaaa » ça a fini
en gargouillis, c'était rigolo, c'était l'autre qui l'avait
embrochée avec le couteau du beurre.

Mignonne, l'autre, d'ailleurs, une jeunette avec une minijupe
et des bas noirs, purée comment elle était belle juste après
avoir tué. Blanche et rouge, elle était, parce que son rouge
à lèvres ressortait, parce qu'à part ça bien sûr elle était
toute blanche. Nous, avec Brandon, on regardait à travers
l'espèce de rideau de lanières de plastique qui sépare le
magasin de l'arrière-boutique, on était resté dans le noir,
ils nous ont pas vu. Raoul, il est resté québlo un moment,
et puis il a dit « mais t'es dingue, toi », ça se voyait
qu'il était soufflé, tu parles, y a de quoi, et l'autre a
fait avec un air de gamine : « on pourrait pas dire qu'elle
est tombée ? »

Alors Raoul a ramassé l'autre par le colback et l'a mise sur
la table où il y avait le beurre et la charcuterie, et nous
on s'est cassé fumer un autre beuze, et Branlon était à la
limite de gerber. Je lui ai dit « ils y ont droit, personne
va gober ça », et je lui ai encore dit « ok, elle est super
bonne, mais ton dab' il est marteau de prendre un risque
pareil pour une meuf » --- mais je me suis planté, ça a marché
comme sur des roulettes, ils ont bonni leurs bobards avec
le culot d'un politicien en campagne, les flics les ont
moyennement cru mais pour finir, c'est passé.

J'te jure, moi pour un bout de zedou j'ai les pires emmerdes.

Enfin, on reparlera de cette histoire, c'est pas fini tout ça.

Herv�