Destination : 3 , Chambre avec vue...


La fenêtre aurait besoin d'un bon coup de pinceau …

La fenêtre aurait besoin d´un bon coup de pinceau. Le bois est fendu, la peinture écaillée, elle ferme à peine. Les volets aussi d´ailleurs, fouettés par le mistral, grignotés par l´air marin. Si j´ai le courage, j´irai fouiner dans l´appentis de mamie à la recherche de peinture. Sur le rebord, trois pots vernissés de verveine-citronnelle, ultime barrière végétale contre les moustiques voraces et obstinés. En contrebas, le long du mur, court une rivière folle de thym serpolet dont l´odeur piquante se mêle délicatement aux effluves citronnées de la verveine. Et puis c´est le jardin, fou, désordonné où les plantes aromatiques, la sarriette, le basilic, la sauge, la mélisse se mélangent effrontément aux vivaces semées dernièrement. Sur la gauche, des hortensias délavés côtoient sans vergogne un bouquet de laurier-roses fièrement érigés. Des
grappes de bougainvillées s´accrochent ardemment le long d´un muret et leurs fleurs en pluie penchent lourdement vers le sol. Le sol, justement, jonché de gros cailloux polis et les ibéris et les céraistes qui survivent dans la rocaille. Un peu plus loin, le mur, à moitié éventré, terrain de jeux des lézards.
Petite, avec mes cousins, nous passions des heures à les déloger en essayant de leur subtiliser leur queue. Le soir, nous alignions fièrement nos trophées de chasse sur une table, petits bouts de chair ratatinés les uns à côté des autres pour savoir qui était le vainqueur de la journée. Et au delà, la route qui descend vers la plage. Que je l´aime cette route sinueuse juste après l´orage quand le goudron chaud et mouillé parfume l´air de son odeur âcre et doucereuse.
C´est une de mes odeurs préférées, plus encore que celle de l´herbe fraîchement tondue. Derrière le talus râpé, il y a une petite forêt de chênes-liège et dans la trouée des branches, on aperçoit le bleu limpide de la mer, celle-là qui danse le long des golfes clairs comme le chante si bien le brave Charles.
La mer encore épargnée par-ici avec sa crique minuscule, ses rochers qui déchirent les pieds et sa richesse marine qui m´émerveille toujours : les algues folles, les petits poissons qui se glissent le long des jambes et les oursins qui se cueillent par dizaines à la première plongée en apnée. « Tu colles ta main à la ventouse en dessous et tu remontes la bestiole » me serinait mon père à
chaque pêche. Et je ressortais de l´eau, le bras tendu avec une boule piquante dans le creux de la main.
Un soupir me sort de mes souvenirs. Je me retourne. Le grand lit est en désordre et son long corps sinueux est nu, échauffé par l´air étouffant . Ses cheveux sont moites, quelques gouttes salées perlent de son cou, sa peau est à peine fraîche mais tellement douce. Je m´allonge près de lui et lui caresse doucement le bras. Je suis vraiment en vacances.

Isabelle