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la maison vide


La maison vide,
Elle est assise dans ce fauteuil, toute ratatinée, les lunettes sur le bout du nez et les cheveux légèrement frisottés. Elle porte sur les épaules ce châle que lui a crocheté, il y a bien longtemps sa grand mère. De temps en temps, elle essuie au coin de l’œil une larme qui vient là, insistante. Par moments cette larme lui est bien utile et lui sert un peu de loupe ce qui lui permet de voir certains détails oubliés. A d’autres moments, elles sont plus nombreuses et lui noient les yeux faisant trembler toutes les images.
Elle appuie son dos douloureux contre le dossier rembourré de son fauteuil et ferme les yeux se laissant rattraper par ses souvenirs.
Elles étaient quatre petites filles joyeuses dans cette journée printanière. Le soleil était de la partie bien sur, mais surtout elles allaient faire un beau voyage dans la Rosingar, il y avait au moins cinquante kilomètres à parcourir. Toute la famille allait faire le pique nique du lundi de Pâques au Pont du Gard. Les parents avaient tout prévu, la visite de l’arche, les paniers bien remplis et les couvertures pour s’allonger à l’ombre après le repas. Ca avait été une journée vraiment formidable. Elle sent encore l’odeur des cyprès près desquels elles avaient joué.
Sa pensée fait un bond de quelques années, et elle se retrouve dans une petite église de campagne. Tout le monde est là, surtout sa grand’ mère, ses tantes et ses oncles. Ah ! Ce qu’elle a pu les aimer ceux là ! Et maintenant ils sont nombreux à être partis. C’était, si elle se souvient bien la noce de sa nièce. Encore un vrai moment de bonheur qu’elle avait vécu là.
La vieille dame somnole un peu, puis se retrouve devant cette boutique toute fleurie. Elle revoit encore le vélo posé près de la porte. Elle sent encore le doux soleil du printemps sur sa peau. C’était à Amsterdam, une escapade en amoureux qu’ils avaient effectué durant un petit week-end du mois de mai. Elle n’oubliera jamais ces moments merveilleux à promener main dans la main dans les vieux quartiers et les petits ponts ombragés où coulait cette eau tranquille. Dans un moment d’inattention, elle avait même failli se faire renverser par un vélo.
Puis soudain, sans transition, elle se retrouve là-bas en Mauritanie, quelques années plus tard, un voyage d’étude. Que de souvenirs superbes et quel contraste entre la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits et ce lieu complètement désert ou un panneau indiquait « création d’espaces verts », comme elle avait ri, et elle fit entendre un petit rire, un petit cri de souris.
Puis, quelques larmes se mettent à couler de ses paupières fermées. Elle vient de prendre une photo de ses enfants. Comme ils étaient beaux, lui, un peu paternel qui regarde sa petite sœur d’un air protecteur et elle toute en sourires. C’était le jour du baptême de la petite.
Il y a quelque temps qu’elle ne les a pas vu.
Trop longtemps.
Mais c’est vrai qu’ils ont leur vie maintenant, leur travail, leurs enfants et même leurs petits enfants. Ils sont tellement occupés…., et elle tellement seule dans cette grande maison vide.
Elle se repose, s’assoupie un peu, une photo encore serrées dans ses doigts torturés par les rhumatismes. C’est elle il y a quelques années, vive, pleine d’entrain, professionnelle. C’est elle, cette femme qui voulait faire partager son amour pour l’écriture. C’était il y a bien longtemps. Trop longtemps. Et tout doucement ses doigts se desserrent, la photo glisse et vole délicatement pour aller se poser au pied du fauteuil.

Jo