Destination : 57 , Arbre mon ami


l'enfant cristal

L’enfant cristal


Ne voulait pas. Non. Ne voulait pas.
Dans la colo des petits mâles l’enfant triste se morfond, l’enfant cristal aux yeux d’eau pâle. Cristal. Tout de suite ils l’ont appelé ainsi : « cristal ». Ils l’ont interpellé : « l’enfant cristal ». C’est trop facile ! Enfant gracile, enfant fragile, un rien le briserait ! Cristal. Le voilà baptisé.

Stahl c’est son nom. Nom de parents toujours absents, toujours partis, loin, ailleurs, jamais ici, jamais à lui, parents étrangers. A chaque vacance ils le mettent à la colo comme un chien au chenil, comme un colis à la consigne. Consigné, l’enfant Stahl. Et puis, comme ils disent, « faut le socialiser », cet enfant solitaire, toujours assis par terre, à rêver, « faut qu’il apprenne la vie en communauté ». A la colo, le colis Stahl ! Faut le coloniser !

Ca lui est égal, à l’enfant Stahl. Continue à rêver, yeux grands ouverts, ses grands yeux d’eau pâle. Continue à rêver. Forcément ça étonne, ça détone, ça n’est pas normal, cet enfant cristal dans la colo des petits mâles.

La colo c’est l’école de la vie, la vraie, celle des mâles, les vrais, ceux qui font mal, qui cognent dans le tas, qui font cocorico, petits coqs de combat qui bataillent, à coups de pieds, à coups de poings, de bourrades brutales, de cris, de quolibets. Leurs jeux ne sont que guerres, rapaces éperviers, balles prisonnières, têtes de Turcs persécutées. Blancs-becs, petits mecs, graines de caïds. La colo c’est l’école des kids.

Ne voulait pas. Non. Ne voulait pas jouer leurs jeux de guerre et de virilité. Voulait rêver, l’enfant cristal. Sous les huées, les quolibets, ils l’ont mis au piquet, tout seul, au milieu de la cour. Sous le grand platane.

L’enfant rêve.
Immobile. Le front posé contre le tronc de l’arbre torturé.
Tronc-torse couturé de cicatrices, tatoué d’immondices, torse écorché.
Chair burinée, chair fouillée de hiéroglyphes, au canif.
Croûtes cloquées, parcheminées.
De larges lambeaux de peau pendent, soulevés.
Entre les interstices la sève suinte comme du sang.

L’enfant rêve.
Pose doucement ses lèvres sur le torse torturé.
Murmure.
Murmure des poèmes, des baumes apaisants.
Caresse des mots.

Dans l’air du soir l’arbre tremble doucement.
L’arbre martyrisé.
Apprivoisé.
Ouvre ses branches.
Etend ses feuilles larges
Comme des mains sur la tête de l’enfant.
L’enfant qui rêve.
L’enfant cristal.

La nuit tombée on le cherche, l’enfant, au pied du grand platane.
A disparu.
Fugué ?
N’a jamais été normal, cet enfant.
On le cherchera longtemps.

Dans le berceau des branches l’enfant rêve doucement.
Dans le bruissement des poèmes.
Dans le frémissement de l’amitié.

Jos�e