Destination : 2 , En route vers l'Afrique.


Ma vie (re)trouvée

La chaleur m’étouffe. Cela fait des heures qu’on roule. On a chaud, on transpire, on est secoué de tous les côtés. Après des mois d’errance dans ma propre vie de jeune fille, me voilà dans un car, en direction du Kenya, vers un village s’appelant « Masaï ». Ce voyage a pour but, selon l’association qui l’a organisé, de remettre les gens perdus sur le chemin de la vie. Voilà pourquoi je suis là, en supposant que je puisse retrouver ma vie, ma destinée. Le car s’arrête dans un crissement de pneus. On se demande, en entendant tous ces bruits de ferraille, comment peut-il encore rouler et comment on peut appeler cela un car.

- Tout le monde descend, crie le chauffeur. On passera la nuit ici et on rejoindra la réserve demain.

Nous descendons, un par un, et récupérons nos affaires, ou plutôt notre sac. Je regarde autour de moi. Rien à l’horizon. Seulement une immense terre qui s’étend à l’infini et quelques abris en bois dessinant le seul village de la région. On se présente aux habitants par des gestes, n’ayant pas de langue commune. Une femme, aux traits tirés, me prend la main et la pose sur son cœur. Je l’observe quelques instants et regarde le chauffeur.

- Elle te souhaite la bienvenue, m’explique-t-il.

Je reprends ma main et esquisse un vague sourire. Je n’ai pas l’habitude qu’on me souhaite la bienvenue. Le plus souvent, on me demande de partir. Moi et les autres, dix environ, s’asseyons en rond. On nous apporte des gamelles et écuelles en bois avec une substance blanchâtre. Je me demande à quoi cela sert. On me fait signe de le manger. J’hésite, mais la femme, celle de la main sur le cœur, me regarde avec tant d’insistance que je m’exécute. Cela n’a pas de goût. Ni bon, ni mauvais, mais je peux vous assurer que ça tient au corps. Après ce « repas », on s’active à dresser nos tentes pour la nuit. Nous ne dormons pas dans le village pour ne pas abuser de leur hospitalité. Puis de vous à moi, je préfère être seule dans ma tente. Celle-ci plantée, je m’assis devant et profite de la brise qui vient rafraichir la température. Prise par une envie de chocolat, je fouille mon sac à la recherche de ma barre chocolatée. Je la trouve enfin et m’aperçois que je ne suis plus seule. Deux petits africains, d’environ huit ans, je suppose, m’épient drôlement.

- Bonsoir, leur dis-je bêtement.

Bien sûr, ils ne me répondent pas. Je regarde mes pieds, ne sachant que dire ni que faire. Je les observe à nouveau. Le seul vêtement est un tee-shirt descendant jusqu’aux genoux, troué par-ci par-là. De la terre couvre leurs minuscules doigts, révélant un travail quotidien et vital. Puis, je m’aperçois que leurs yeux ne m’observent plus, et qu’à la place, ma barre chocolatée est devenue l’objet de curiosité et de désir. Alors, un des deux enfants s’approche un peu plus de moi, me tend une roche, un caillou d’une couleur et d’une beauté extraordinaire. Il me la pose dans la main et tend son doigt vers le chocolat. Je comprends alors le marché. Le désir que j’avais lu précédemment sur leur visage n’est autre que le désir et besoin de se nourrir. Touchée par cette vision, vision trop malheureuse à mon goût, je prends mon sac et le vide devant moi. D’un geste de la main, je fais le tri. Alors, je rassemble toutes mes sucreries, chocolats et autres gourmandises que j’avais amenés avec moi. Et leur donne tout. Ils m’épient, incrédules, hésitants…

- Tenez, leur dis-je en fourrant le tout dans leur bras si frêles. Ils prennent tout et repartent vers leur village, leurs yeux illuminés par tant d’offrandes.







Le lendemain, nous reprenons le car (ou appelez-le comme vous voulez) vers une réserve africaine où un docteur français y travaille jour et nuit. Nous visitons le village, aidons les habitants à cuisiner, lessiver le peu d’affaires qu’ils possèdent, s’occupons des enfants. On s’aperçoit tous, sans se l’avouer à voix haute, que ces personnes font tellement avec si peu de moyens. Je rentre dans une cabane en bois pour me mettre un peu au calme, faire le point sur tout ce que je vis. Je m’assois sur un tabouret branlant et soupire.

- Un problème ?

Je tombe à la renverse. Moi qui me croyais toute seule.

- Pardon, je ne vous avais pas vu. Je voulais juste m’isoler.

Un homme se tient dans le coin, assis dans le fauteuil.

- Vous ne me dérangez pas. Vous tombez bien justement. Tenez, aidez-moi.

L’homme se lève, me dévisage de ses grands yeux verts et sourit de ses yeux. Je suis comme hypnotisée. Il me tend les bras et je découvre qu’un minuscule bébé se tient au creux de ses mains.

- Je l’ai appelé Isabella. Elle vient de perdre sa maman. Elle n’a que moi, que nous.

Il me la pose dans les bras et je suis aussi rigide qu’un manche à balai. Elle est si petite, si belle. Ses yeux se posent sur moi. Elle n’a que moi. Elle n’a que nous. Je lève mon regard et replonge mes iris dans ceux de l’homme debout en face de moi.

- Qu’avez-vous prévu dans les prochains mois ou années à venir ? de demande-t-il.

- Rien.

- Alors tout commence…

Oui. Tout commence. Tout est dit. En route pour l’Afrique.

MAGUI