Destination : 167 , Métamorphose


Une vie transformée

Je m’éveillai. Tout doucement… Ma vision était encore floue. Je ne distinguai que la forme des choses, sans pouvoir encore profiter des couleurs. Cela m’effrayait. Beaucoup de choses bougeaient, tournaient et volaient autour de moi. Quant à l’ouïe, c’était un bourdonnement sourd qui rythmait mes journées. Je ne sais pas combien de temps cela dura. Quelques minutes, quelques jours… Une éternité. Puis, d’un seul coup, (ou un jour, je ne sais toujours pas bien la notion du temps), tout changea. Et alors, je les découvris…quelques-uns dormaient, enfin, je suppose. D’autres s’effaraient à ramener de quoi manger, de quoi s’abriter. Et d’autres encore riaient en se jetant de toutes petites bottes de terre. Ankylosé par tant d’immobilité, je bougeai un membre, puis deux et tourna la tête. Alors, je la vis. Celle qui m’avait mise au monde. Ne me demandait pas comment je la reconnus. Je le fis. C’est tout. Elle pencha sa tête vers moi et avança. Quelle était belle. Sa belle dorure rouge et ses tâches noires. Elle ne marchait pas, elle dansait. Avec grâce.

- Te voilà enfin réveillé Rapsou ?

Rapsou ? C’était quoi ça ? Mon nom ? Puis je ne dormais pas, je m’éveillai.

- Comment te sens-tu ? Bouge un peu, ça te fera du bien.

Je fis quelques pas, tournai sur moi-même, sautai. Cela ne me parut pas difficile.

- Alors ? insista Maman.

Je découvris ma voix, juvénile, aigüe.

- Ça va, je me sens bien. Petit, mais en forme.

Je m’aperçus en effet que tous étaient beaucoup plus gros et grands que moi. On dit que pour connaître notre âge, on compte les points noirs présents sur nous. Je commençais donc à comptabiliser l’âge de chaque membre de ma famille.

- Maintenant, il faut que tu apprennes à voler. Tu vas voir, ce n’est pas difficile, tu vas vite y arriver.

Elle m’attrapa par la patte et me posa sur son dos où je m’accrochais férocement. D’un bond, elle déploya ses ailes et m’emmena sur le sommet d’un rocher.

- Fais le vide dans ta tête, saute, ouvre tes ailes et secoue-les fortement.

- C’est tout ? m’étonnai-je.

- Bien sûr, que crois-tu ? Allez Rapsou, je sais que tu vas réussir.

Candide, je pris mon élan, sauta déploya mes ailes et me vautrai par terre. Je m’aperçus qu’en bas du rocher, un amas de feuilles et de fourrage avaient été posés. Merci pour la confiance … Je secouai la tête, repris mes esprits et inspecta tous mes membres. J’étais encore en vie. Ma mère me rejoignit.

- T’en fais pas, c’est normal. Allez, on ressaie. Tes frères et sœurs ont réussi en trois coups.

Trois coups ? Cela me parut impossible. Je retentai toutefois. Une fois, deux fois, puis je ne comptais plus. Quelques (centaines) essais plus tard, l’espoir ayant disparu, la magie s’opéra. Je m’élevai dans les cieux et découvris un monde encore inconnu. Les cimes des arbres se dessinaient, le soleil resplendissait. J’étais au-dessus de tous rêves, de toute réalité. Je retournai enfin dans mon logis, près des miens, non sans faire quelques pirouettes et cascades. Je ne voulais plus apprendre. Ce temps était révolu. Je voulais m’amuser.

Alors tout se brouilla. Je plongeai dans un abîme total. Ma vue s’obscurcit, je ne sentais plus aucun membre. Le bruit changea et une chaleur m’envahit. J’ouvris les yeux. Je n’étais plus dans la forêt, mais à l’intérieur d’un magnifique salon. Des enfants jouaient, des personnes dinaient. Une fillette s’approcha de moi.

- Allez, viens jouer Croquette.

Croquette ? Mon nom est Rapsou. Je le lui dis mais elle fit comme si elle ne m’entendait pas.

- Croquette, Croquette, Croquette …

- Je ne m’appelle pas Croquette !

- Elle ne t’entend pas, c’est une humaine. Puis de toi à moi, Rapsou ce n’est pas mieux que Croquette.

Je tournai la tête et vis un chat, ou plutôt un chaton noir me regarder. Je détaillai mon nouveau corps. Des poils roux envahissaient tout mon être. Mes pattes avaient grossis et une queue finissait ce corps poilu. Il bondit alors sur moi de tout son poids.

- Allez viens t’amuser, il y a pleins de choses à faire dans cette maison.

A mon tour, je fondis sur lui dès qu’il eut la tête tournée afin de prendre ma revanche. Nous commençâmes une course poursuite. Après tout, j’étais là pour m’amuser. Vase renversé, armoire vidée, rideaux lacérés, tels furent nos lubies. Cela dura des heures. Je ne m’étais jamais autant amusé. Ma gorge devint irritée tant elle était sollicitée par mes rires. Enfin, je trouvai un sofa pour me reposer. Moelleux, chaud, tout était réuni pour une bonne sieste. Mon compagnon ne l’entendait pas de la même façon.

- Qu’est-ce que tu fais ? On n’a pas encore fini….

- Je suis fatigué, je me repose.

- Allez quoi, tu dormiras plus tard.

Il me tira, ou essaya, par la patte.

- J’ai dit non. Laisse-moi tranquille, je ne veux plus jouer. Non c’est non !

Alors, l’abîme revint. L’obscurité m’envahit de nouveau et je tombai dans l’inconnu pendant un long moment.

Je rouvris les yeux pour une troisième fois. Le soleil m’éblouissait. La chaleur m’inconfortait et une odeur nauséabonde aspergea mes narines.

- Alors Pinpin, veux-tu venir ?

Pinpin ? Non mais c’est quoi ça encore, ça ne va pas bientôt finir ? Un homme, mature, aigrie, me regarda. Je le regardai à mon tour et resta immobile.

- Il va falloir que je vienne encore à toi …

Il souffla, prit son sceau et s’approcha. Je découvris mon nouvel environnement. Un champ, triste, grand était mon nouveau foyer. Une cabane en bois se dressait au bout du champ, sûrement ma deuxième maison si le temps n’était pas au beau fixe. L’homme commença à me brosser. Il leva un à un mes sabots et les nettoya. Lorsqu’il rangea ses accessoires, je compris que c’était fini. Dommage, ce n’était pas déplaisant.

- Bon, rentre dans l’abri maintenant. Il va faire un froid de canard cette nuit.

Je ne bougeai pas. Je voulais juste dormir, qu’on me laisse tranquille. L’homme fatigué, s’en alla en soufflant de nouveau. Les jours passèrent, immobile, je restai à ma place. Je bougerais lorsque je l’aurais décidé. Un matin, comme tous les autres matins, l’homme arriva. Sa démarche était plus lente, ses traits plus tirés. Ma toilette dura plus longtemps, aucun mot ne vint animer ce moment de douceur. Puis, il retourna à la cabane, rangea ses outils et s’affala de tout son long sur le sol. Un cri de douleur accompagna sa chute, sa main se postant immédiatement sur son dos. Alors, après des jours d’immobilité, je fis mon premier pas. Mes os craquèrent par tant de mouvements. J’arrivai à la cabane et attrapa avec ma gueule le col de sa veste. Je le soulevai, non sans peine. Je le remis debout et l’appuya contre moi.

- Merci Pinpin, tu n’es pas aussi têtu qu’on le dit.

Je sentis la fraîcheur de son corps traverser ses vêtements. Je serrai mon étreinte et posa ma tête contre son épaule. Ma chaleur m’envahit en quelques minutes et des couleurs revinrent sur son doux visage. Puis l’obscurité. Toujours cette même noirceur. Cela dura moins longtemps cependant. Une plage apparut devant moi. Immense, calme, magnifique. Sur ma gauche, de grands rochers s’élevaient. J’entendis l’eau se frottait contre ces rocs dans un doux murmure. Il faisait beau, bon, mais pas d’une chaleur accablante. Tout comme j’aime. Puis, soudain, je me trouvai lourd, plus lourd que d’habitude. Je me jetai un coup d’œil. Je n’avais jamais eu des pattes aussi grosses, dures et ridées. D’une couleur sombre, vert sombre. Je m’obligeai à tourner la tête afin de comprendre d’où venait ce poids. Je découvris mon énorme carapace et compris enfin qui j’étais. Je fixai l’horizon. L’infini.

- Allo, articulai-je pour entendre le son de ma voix.

- Allo, allo, allo…. Résonna derrière moi tel un écho.

Je virevoltai et m’étonnai-je de voir une ribambelle de petites tortues courir vers moi.

- Allez, on va se baigner papou !

Je souris et les laissèrent me dépasser. Mon bonheur était là. Je m’enfonçai dans l’eau et rejoins ma famille. Cet abîme, cette obscurité, je ne la rencontrerais plus désormais. Je le savais.

MAGUI