Destination : 5 , Si on s'écrivait ?


Je vais bien, ne t'en fais pas

Bonjour Paulette,



Oui, je me suis décidée à t’écrire. Cela n’était pas chose facile, et je t’avoue que Paul n’est pas au courant. Bien sûr, je compte sur toi pour également taire cette missive. Je te rassure, nous allons bien. Nous sommes heureux depuis notre départ, c’est un peu difficile à comprendre, mais crois-moi. C’est tout ce que je te demande. Nous profitons de la vie à chaque instant, nous prenons tout d’elle, nous vivons. Le soleil est au rendez-vous ces jours-ci. Nous nous levons à l’aurore, nous nous promenons autour du lac puis nous nous installons en haut d’une petite montagne où nous pique-niquons à l’ombre d’un saule. Paul installe une petite couverture sur le sol, on s’y allonge, on rit, on mange et on s’endort, paisiblement, chose qui nous n’est pas habituelle. L’après-midi, on retourne dans notre nid douillet. Paul fait des travaux chez des particuliers, afin que nous n’éveillions pas les soupçons. Moi, je range la maison, je vais en ville parfois, respirer l’air urbain. J’achète des fleurs pour égayer la maison… je m’arrête quelques fois devant la librairie en me demandant à quel moment je vais reprendre l’écriture. Puis je repars, des idées plein la tête. Alors, la soirée commence, je prépare un petit repas, aux chandelles souvent, et on dîne en se racontant notre après-midi. Hier, nous nous sommes baladés en ville pour la première fois, tous les deux, en se tenant la main. Cela faisait des mois que ça ne nous était pas arrivé. On s’est regardé, et sans un mot, on s’est souri. Nous ne parlons jamais de notre vie d’avant, de ce qui s’est passé. Paul m’a promis que c’était la dernière fois qu’il faisait ça, et grâce à lui, nous pouvons vivre des jours heureux. Je ne dis pas que je cautionne ce qu’il a fait, mais à quoi bon ressasser les faits, cela ne changerait rien. Alors je m’y suis résolue. Nous recommençons une vie, loin des regards, des jugements, nous réapprenons à vivre sans regarder derrière nous, sans se retourner à chaque coin de rue. Ne cherche pas à nous retrouver, ce serait une perte de temps. Nous avons changé de nom. C’est si facile maintenant de se procurer des faux papiers… Je ne veux pas que tu t’inquiètes, je te rassure, je vais bien. J’ai gardé le meilleur pour la fin. Je suis enceinte. Je l’ai appris il y a deux mois. Le médecin me dit que ce sera un garçon, mais il préfère attendre la prochaine écographie pour en être certain. J'aimerais tant qu’il grandisse également auprès de toi, auprès d’une grand-mère qui lui donnerait tellement d’amour. Tu m’en as tellement donné. Tu me manques. Je pense à toi chaque jour. J’espère qu’un jour, dans quelques années peut-être, on se retrouvera. Paul me dit que c’est un risque. Moi je ne sais pas. Je me laisse porter par mes sentiments. Que suis-je bête, je n’ai même pas demandé de tes nouvelles, je ne pense qu’à moi…. Comment vas–tu ? Fais-tu toujours tes exercices pour ton dos ? Tu avais du mal à les faire quand j’étais là, alors j’imagine maintenant… Il faut que tu prennes soin de toi, pour moi. Je sais que je ne le mérite pas, mais fais un effort. J’aimerais tant avoir des nouvelles de la famille, mais j’ai beau me creuser la tête, je ne sais pas comment. Maman doit être furieuse après moi, et Papa, je préfère ne pas y penser. Ils ne comprennent pas. Tu es la seule à avoir compris cet amour, bien plus que fusionnel. Il est toute ma vie, je respire pour lui, par lui. Je suis son ombre à chaque instant. Tu te doutes que je ne peux pas te donner mon adresse, et s’il te plaît, ne te fis pas au cachet de la poste, il ne te donnera aucun indice. Ces derniers mois, j’ai appris à être une bonne fugitive. Paul va bientôt rentrer. Je te laisse. Je te promets de t’écrire un peu plus souvent, pas régulièrement, mais plus souvent…





Bien à toi,



Ta petite fille.

MAGUI