Destination : 83 , Lettre(s) à Dieu


Epîtres

Au fond du tiroir secret de mon bonheur du jour –nom prédestiné – j’ai tenu cachées les lettres que je vais me décider à vous adresser. J’y mets une faveur bleue, c’est ma couleur préférée.
1ère épître : J’ai huit ans. Ma mémé, vieille femme qui se dit pieuse, à l’aspect rachitique, noueuse comme un vieux cep, ne cesse de me répéter en égrainant ostensiblement son chapelet à chaque fois qu’il m’arrive un quelconque souci:
« C’est le Bon Dieu qui te punit ! »
Du haut de mes huit ans, je ne comprends pas tout, mais je ne m’autorise pas à mettre en doute ce que dit mémé, femme que tout le monde respecte à la maison. Ce que je sais, par contre, c’est que j’ai terriblement peur de finir en enfer ! J’aimerais bien que tu m’oublies, vilain Dieu vengeur, punisseur, que tu m’oublies de temps en temps et que tu regardes ailleurs ! Je ne comprends toujours pas pourquoi, quand on parle de toi, c’est toujours avec l’adjectif bon. J’attends que tu me la montres, cette bonté !
2ème épître : J’ai eu dix huit ans cette année. Je quitte le pensionnat où je viens de passer de trop longues années … Vite, vite, je jette corvées, yeux baissés, obéissance… Je fais un paquet de tout ça et j’y joins sans hésitations prières et obligations religieuses. Et hop ! Au placard, Notre Seigneur, sans scrupule, sans état d’âme ! Et si toutefois tu existes, c’est le moment de me faire signe ; donne- moi l’amour, le bonheur et… (n’hésitons pas) la richesse !
3ème épître : vingt huit ans
Mon Dieu, après une grande période d’oubli, voilà que je te retrouve. C’est rigolo, d’ailleurs ; je te retrouve parmi les petits yeux noirs, les cheveux crépus et les visages d’ébène qui me font face au quotidien. Je n’avais pas imaginé dans ma vie étriquée d’avant que tu pouvais être noir. Pourtant, plus j’y réfléchis et plus je les côtoie et plus je me dis que si tu existes, c’est là qu’est ta place, même si eux te nomment Allah ou Mahomet…
4ème épître : à trente huit ans, je ressens le besoin de retrouver mes racines ; et mon éducation judéo chrétienne me semble être LE moyen. Si j’avais été élevée sous d’autres latitudes, peut être aurais-je prié Vishnou ou Jéhovah ; mais ici et maintenant, forte de l’enseignement de mes ascendants, c’est vers Toi, mon Dieu, que je me tourne pour te demander de m’aider à vaincre le mal de vivre qui m’étouffe et me pousse vers le gouffre. Je veux donc croire que tu es là, que tu m’entends et que tu vas m’aider.
5ème épître : alors là, c’est trop ! Que fais –tu donc ? Es –tu là ? Ne vois –tu pas tous ces enfants maltraités par les guerres, la pauvreté, la misère, l’angoisse ? Que veux –tu que je fasse, moi, pauvre chose à qui ils sont confiés ? Je ne suis pas le Bon Dieu , je ne peux les empêcher de revivre les atrocités qu’eux et leurs familles ont subies, je ne peux faire renaître la confiance en l’autre qu’ils ont perdue. Tu vois quel avenir ils se préparent ? Tu imagines quels adultes ils vont devenir ? Mais comment peux tu laisser de jeunes innocents être les premières victimes de la folie des hommes ? Oh ! m’entends –tu ??
6ème épître :
Voilà, c’est ma dernière lettre, pour le moment( !) Après toutes ces années à jouer à cache- cache avec toi, je fais comme si… Calmement, sereinement, je n’ai plus beaucoup
d'espérance, je n’ai pas d’avantage de révolte. Je n’attends plus rien, ni de toi, ni d’un autre. Alors, quelle importance, que tu existes ou pas ? En tout cas, je crois que ma mémé s’est trompée, l’enfer , il existe ici : c’est le monde aujourd’hui… Après, il ne peut y avoir que le repos, le calme, la paix… Est –ce que c’est le paradis ? Si tu m’entends, tu peux toujours me répondre ! Rendez – vous dans dix ans pour une nouvelle mise au point …

Mamyjaja