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Impressions d'un nénuphar

Impressions  d’un nénuphar.



Je brûle de me confier à vous.

Depuis quelques années, j’ai un très grand ami.

A la belle saison, il vient tous les jours, avec son chevalet, ses pinceaux et ses couleurs.

Tous les jours, je l’attends. Je sais qu’il va venir. Même si ce n’est pas toujours à la même heure.

Il s’assoit près du bassin et il nous regarde longuement, pensivement, mes frères et moi.

Puis il peint.

Je me suis familiarisé peu à peu à sa présence respectueuse, aux heures qu’il passe à nous contempler et à nous peindre par petites touches.

De là où je suis, j’aperçois la toile. Parfois, elle est toute blanche, parfois au bout d’un moment, il n’y a presque que du bleu, ou une harmonie de verts.

D’autres fois, j’ai l’impression que mon ami reproduit une peinture que j’ai déjà vue, mais en l’observant un peu mieux, j’y distingue de subtiles variations...

Je vois que mon peintre cherche à recréer les jeux de lumière sur le bassin, les transparences, les reflets du ciel et des arbres à la surface de l’eau.



Dans notre jardin, se promènent souvent des visiteurs.

Des messieurs bien habillés, de belles dames sous leur ombrelle.

Je les entends parler entre eux. J’ai appris ainsi que mon ami avait fait détourner un bras de la Seine pour nous faire pousser là, mes frères et moi.

Il paraît aussi que deux très grandes salles ovales vont être aménagées à Paris, dans un musée et qu’elles seront uniquement consacrées à nous.

Les gens pourront s’asseoir au centre, se laisser envahir par l’atmosphère de notre étang que mon peintre recrée si bien, imaginer les jeux de lumière et de couleurs qui se mêlent, se dénouent et se recomposent sans cesse...



Depuis quelques semaines, j’ai l’impression que mon ami y voit moins bien.

C’est peut-être ça qui l’a fait se pencher sur moi l’autre jour, et me parler.

Il m’a dit que ce jardin est pour lui une peinture vivante, qui change d’aspect suivant les différents moments de la journée et des saisons.

Il m’a confié aussi qu’il était très fier de notre beauté et qu’il emporterait notre image avec lui dans l’autre monde.

C’est cela que je ne pouvais pas garder pour moi: cet immense amour d’un peintre pour son jardin d’eau et ma grande joie d’en faire partie.





Lilas