Destination : 176 , Destination durable


Destination durable ou destination du râble? Question de lapins... et néanmoins sérieuse

De tout temps, les lapins ont représenté un défi du développement durable, en raison du développement... du râble. Ce dernier, le râble, a en effet connu un développement exponentiel ininterrompu, sa destination étant essentiellement alimentaire. Surtout depuis que l’homme sait naviguer sur les mers, contourner l’Afrique, voguer vers les Amériques et au-delà.

Plaisanterie, m’avez-vous dit? Vous vouliez juste nous amuser d’un jeu de mots déjà usé jusqu’à la corde? Non. Et cette chronique pourrait en apporter un début de preuve :

Au commencement étaient les marins, donc, et les lapins.

A l’époque où la voile était le seul moyen connu pour explorer le monde en bateau, «oh ! combien de marins, combien de capitaines», se lamentait Victor Hugo «dans ce morne horizon se sont évanouis?»

Le froid, les tempêtes, les monstres venus des abysses, les maladies, un Dieu indifférent à leur sort, mais surtout la faim, répondaient déjà à la question du grand poète.

Il n’y avait alors à bord des navires, hormis des provisions conservées dans le sel, ou des sortes de biscuits durs comme de la brique, bref, rien de très «bio», là-dedans.

Mais pour être marin on n’en est pas moins homme : l’imagination humaine a donc trouvé une solution. Le talent supposé des lapins, bien connus pour ne passer leur temps qu’à se reproduire, fut mis à contribution. Et si, pour leurs ébats, les bipèdes que nous sommes ont généralement aménagé un peu d’intimité dans des cavernes, des arbres, puis des chambres, les lapins, eux, ont toujours «fait ça» partout, n’importe où.

Ainsi sur chaque île, chaque continent, désert ou pas, découvert de par le vaste monde, les marins ont toujours déposé un couple de lapins. C’était en quelque sorte l’assurance pour eux, si d’aventure ils devaient y revenir un jour, d’y trouver à manger en quantité raisonnable.

Les premiers habitants humains d’Ellis Island, à New-York, où se dresse aujourd’hui la statue de la Liberté, étaient les indiens Siwanoy. Mais avant même d’en être chassés par les colons anglais, ils purent se régaler de nombreux lapins qui se multiplièrent sitôt débarqués des premiers navires venus d’Europe.

Avez vous un jour tenté d’imaginer le nombre de lapins qui ont, depuis quelque siècles, pullulé sur la planète? Mission impossible. Un jour, un savant fou, appelons-le Antoine, parce qu’il n’a jamais voulu dire son véritable nom tellement il était fou, a entrepris le comptage de la multitude lapinesque, indifférent au mur de sarcasmes de ses confrères, pourtant à peine moins fous que lui : eh bien il est mort, à 97 ans, avant d’avoir terminé le comptage. Sans surprise aucune, personne n’a jamais voulu reprendre le flambeau. J’ai bien tenté, un jour, d’en faire une chanson, pour rendre le décompte plus digeste, mais en vain : la rengaine aurait été interminable...

Insensiblement, pourtant, cette perturbation écologique est devenue irréversible. Comme quoi un couple de lapins tout ce qu’il y a de plus banal parfois pu être à l’origine de la disparition d’espèces entières, généralement végétales, mais aussi animales. Sur l’ile française de Saint-Paul, au sud de l’océan Indien, les lapins de plus en plus nombreux ont perturbé l’équilibre écologique rien qu’en mangeant ce qui poussait là bas, réduisant la nidification des espèces australes d’oiseaux! Depuis que j’ai eu la chance d’aller là-bas, au long d’un itinéraire fabuleux et riche en surprises, j’ai toujours eu le sentiment, en mangeant un lapin à la moutarde, de venger un peu les pétrels... Juste retour des choses, non?

Hélas, le bestiaire des espèces implantées... maltapropos n’a jamais été achevé! 

Jérôme Daquin