Destination : 179 , Extraits naturels de rentrée


DEPUTE, ET APRES ?

L’auteur : Michel Ray



Qui est donc Michel Ray ? Qui se cache derrière ce pseudonyme ? Sexagénaire confirmé, il publie ici son premier roman. A la fin des années 70, alors jeune militant, Michel fit la connaissance de Jean-Pierre, lequel, à la surprise générale, venait d’être élu conseiller général en battant un notable gaulliste solidement implanté. Cet exploit valut à JP d’être désigné candidat du PS pour les élections législatives de 1978 et Michel participa avec enthousiasme à son équipe de campagne. Ce coup-là ne fut pas le bon, mais là est née une solide amitié entre les deux hommes qui, longtemps après, fait de Michel un auteur ! Car Jean-Pierre, élu député en 1981 et le demeurant jusqu’à la lourde défaite de 1993, sollicite plus tard Michel pour écrire son histoire. Des rendez-vous sont pris au début des années 2000. L’auteur s’y colle, commence à rédiger, prend son temps, puis semble renoncer. Mais les entretiens qu’il a enregistrés sur un petit dictaphone ne sont pas perdus…







Le synopsis de : « Député, et après ? » :



« Député, et après ? » raconte l’histoire de Jean-Pierre, un jeune breton, exilé en région parisienne, que rien ne prédestinait à devenir député…et qui le fut cependant durant les douze

premières années du double mandat présidentiel de François Mitterrand. De sa conquête du canton de Chelles en 1976, en passant par son entrée à l’assemblée nationale en 1981 et sa reconduction en 1986 et 1988, année où il en devient viceprésident, on suit l’ascension de cet élu sincère et autodidacte dans un milieu auquel rien ne l’avait préparé, jusqu’à la chute de 1993. Commence alors une période plus sombre : on compte ses amis sur les doigts d’une main, la reconversion est difficile, les tentatives de retour échouent, la dépression frappe, le couple se défait… Député, et après ? Le double sens du titre affleure dans ce livre qui n’est pas seulement une biographie, ni l’histoire de la fameuse « génération Mitterrand », mais aussi, en contrepoint, un essai sur la sincérité de l’engagement politique se confrontant aux pièges du pouvoir. Tout en contant l’histoire de son personnage avec une empathie certaine, l’auteur apporte sa touche personnelle dans une sorte de dialogue complice entre la conviction

affirmée et la désillusion qui perce. Mais, au fond, ce livre est-il autre chose que l’histoire d’une amitié ?







Extrait de : « Député, et après ? » :



Le mail est arrivé sur mon smartphone pendant mes congés. C’était début avril. J’étais en vacances sur l’île de beauté. Catherine et moi avons toujours eu plaisir à y revenir depuis le premier voyage que, jeunes mariés, nous y fîmes il y a bien longtemps. De la terrasse de notre pied à terre, je contemplais la jolie vue dégagée que nous avons sur la montagne corse, depuis l’Omu di Cagna jusqu’aux aiguilles de Bavella. C’est alors qu’une sonnerie discrète sur ma petite merveille électronique a annoncé l’arrivée des messages quotidiens. Instinctivement, j’ai caressé l’écran de mon Galaxy pour faire apparaître les notifications et effleuré du doigt l’icône des messages. Au milieu des spams et autres pubs indésirables, un message a attiré mon attention : une sollicitation à signer un appel en faveur du « Front de gauche » au premier tour de l’élection présidentielle 2012. A dire vrai, l’âge ayant sensiblement calmé mes illusions, je ne m’étais jamais aussi peu intéressé à une campagne électorale que celle-ci, dont, sauf la satisfaction de sortir le sortant, j’attendais malheureusement peu de choses. Aussi est-ce moins l’appel lui-même qui a frappé mon regard que l’identité et la qualité de son premier signataire : Jean-Pierre F., ancien député, ancien vice-président de l’assemblée nationale. Jean-Pierre ? Je le croyais, comme moi, rangé des voitures…



La lecture de ce nom produit sur moi un premier effet : il réveille le souvenir d’une fraternité d’armes, d’une camaraderie, d’une connivence, d’une complicité, qui demeurent, bien que nous ne nous soyons pas vus depuis longtemps. Nous avons partagé beaucoup de convictions et mené ensemble plusieurs campagnes, même si, plutôt que dans les années fastes, je l’ai surtout accompagné dans les moments difficiles. Mais n’est-ce pas dans ces moments-là que se scellent les amitiés durables ? Du coup, je décide de passer outre le doute qui m’habite

et j’envoie mon accord de signature, accompagné de mon ancien titre.



Je ne suis pas surpris de recevoir, dès le lendemain, un second message, personnel cette fois, de Jean-Pierre. Il me remercie de ma signature et m’écrit malicieusement qu’il n’est pas étonné de retrouver mon nom à ses côtés dans ce genre de circonstances. Paradoxalement, cet éloge fait remonter à la surface un vague sentiment de honte, une forme de remord sourd : celui de l’avoir laissé en plan sur le projet, pour lequel il m’avait sollicité et auquel j’avais commencé à travailler, d’écrire sa biographie.



C’était au début des années 2000. Jean-Pierre était sorti de la profonde dépression dans laquelle l’avaient plongé de dures attaques politiques à la suite de l’échec de sa tentative de retour électoral. Il m’avait passé quelques archives, j’avais fait l’acquisition d’un dictaphone à

cassettes et nous nous étions fixés une série de rendez-vous pour enregistrer des interviews au cours desquelles il s’aidait de ses anciens agendas. Muni de ces enregistrements, j’avais commencé la rédaction de quelques chapitres, que je lui avais montrés. Il m’avait encouragé à poursuivre.



Est-ce mon côté velléitaire qui m’avait empêché de terminer le travail commencé ? Est-ce le manque de temps ? La difficulté de trouver un ton et un fil de narration qui ne soient pas la simple transcription de nos entretiens ou un éloge flattant son égo de manière trop appuyée ? Toujours est-il que j’avais jeté l’éponge, promettant vaguement d’y revenir plus tard. Mais les mois, puis les années ont passé.



Plus tard ? En rentrant sur le continent, j’ai vérifié que le dictaphone à cassettes traînait encore dans la bonnetière en merisier du salon. J’en ai changé les piles. Le vieil ordinateur sur lequel j’avais tapé les premiers chapitres n’avait pas été allumé depuis longtemps, mais il fonctionne encore.



Cette fois, c’est décidé : je vais terminer ce livre…

Michel Ray