Destination : 204 , A contre courant


Je suis un méchant

J'ai su, dès que j'étais petit, que j'étais un méchant et que je serai toujours un méchant. C'est d'abord l'affirmation de ma grand-mère lorsqu'elle s'est penchée sur mon berceau. Il parait que j'ai fait un grand vomi lorsqu'elle a approché son énorme face de ma minuscule bouille chiffonnée. Elle s'est brutalement relevée en proclamant doctement : "C'est un méchant enfant". Père aurait dit "Oh mère vous croyez ?" et ma pauvre mère pâle et insipide comme un haricot blanc aurait fondu en larmes.



Et cela a continué, la moindre de mes sottises ou de mes espiègleries entraînaient immanquablement : "Il ne changera jamais, il est méchant dans l'âme".



Pendant longtemps je ne me suis pas posé de question, j'étais méchant, bon voilà c'était comme çà, c'était comme être roux ou boiteux ou bégayer. Je n'avais pas choisi.

Le bon Dieu avait planté son gros pouce au beau milieu de mon front et il avait murmuré dans sa grande clairvoyance : "celui là sera un méchant".



Je ne fréquentais que les mauvais garçons juste pour qu'ils me racontent leurs exploits. Moi, je n'ai jamais commis d'actes pervers ou odieux, pas la peine je n'avais rien à prouver.

Comme j'avais une belle écriture et une excellente mémoire je notais tout dans un cahier. Ils étaient fiers, ils m'appelaient le greffier. J'immortalisais leurs méfaits.

J'avais sans doute mal caché mes cahiers car un jour ma mère, toujours pâle et insipide comme un haricot blanc, les trouva. A leur lecture elle faillit mourir d''apoplexie. Elle les tendit d'une main molle tremblante à mon père. Le succès fut immédiat. Des coups de cane me zébrèrent le dos, régime soupe et pain dans ma chambre, inscription immédiate dans une école spéciale redressement du caractère.



C'était un lieu extraordinaire où je rencontrais plus méchant que moi. Une délectation que je continuais à confier à des cahiers. Comme j'étais bon élève et qu'en bon et intelligent méchant je savais parfaitement conduire ma barque, je n'eus pas trop à souffrir.



Et puis un jour j'eus quatorze ans. C'était durant les grandes vacances. Nous recevions cousins et cousines car ma famille possédait outre des jardins et des vergés, un espace forestier accidenté parcouru de cours d'eau. Ma cousine Cybèle s'était faite accompagnée d'une amie de longue date. Une sorte d'apparence blonde et délicate qui chantait et dansait. Au cours d'une promenade, se prenant pour une biche, elle faillit se rompre le cou. Heureusement j'ai là tout près et je la sauvais. Enlacés, nos cœurs battant, elle murmura à mon oreille "Comme vous êtes gentil !" J'étais stupéfait. Un méchant pouvait-il devenir gentil ? Rien n'était donc irrémédiable ?



Elle fut mon premier amour. Je frissonnais lorsqu'elle disait " Vous vous êtes le plus gentil au monde. N'écoutez pas ce que dises les autres. Ils ne vous connaissent pas".



L'amour m'avait-t-il métamorphosé ?

Sommes-nous bons ou méchants par nature ?

Sont-ce les évènements qui font des nous des êtres de bonté ou de méchanceté ?



Je suis devenu avocat pour élucider toutes ces questions.















EVELYNE W