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Le grand paradoxe

Avenue Foch. Ce matin, la nouvelle est tombée : grand banquet prévu dans 3 jours, budget illimité. R.V à 10 h avec la 1° secrétaire de Monsieur Panini !

Arrivée à 11h dans une rolls étincellante avec l'un des chauffeurs, direction la maison Lenôtre! ( ma 1° traversée de Paris en rolls, ça me change de ma vieille 2 C.V.! )pour passer commande en vue de la réception.
On nous présente plusieurs catalogues, 86 modèles de pièces en sucre, 54 sculptures de glace, une cinquantaine de gâteaux, des centaines de petits fours peints à la main, des migniardises qui ne dégôutent aucunement, des chocolats en noir et blanc tissés de cacao, des argiles de fruits aux doigts agiles, des coussinets d'ébène à la feuille d'or en écharpe pour le café...

On en prend pour pas loin de 10 briques ( en francs!), payé cash, sourires en sus!

Retour Av. Foch. ébullition, agitation, conciliabules dans le vestibule!..

Mobilisation générale! Monsieur Panini a dépêché tout son personnel disponible parmi ses nombreuses résidences : ça arrive de partout!

une soixantaine des Etats-Unis, 29 de Marbella, 38 de Cannes, 16 de Genève, seventeen de Londres etc... des chauffeurs et leurs limousines, des jardiniers exotiques, des cuisiniers étoilés, des gouvernantes entreprenantes, des maîtres d'hôtel collet monté, des serveuses un peu soupe au lait, des artistes fleuristes, des coiffeuses également masseuses, des intrigueuses,une ribanbelle de pulpeuses jeunes femmes,des architectes, électriciens, peintres-décorateurs, et une armée de vigiles agiles. En tout, 300 personnes! 25 nationalités différentes!

OBJECTIF : recevoir un Prince héritier( dont nous taisons le nom), au etchâteau de Rienétrobot, du côté de Fontainebleau. 40 convives sont attendus à ce déjeûner qui se doit d'être somptueux, prestigieux, éblouissant, un repas de cérémonie à en mettre plein la vue, à en couper le souffle et les pattes!

Efforts concentrés de 300 personnes sur le même but! activité à 120% des neurones, des langues et des tibias! 600 pieds et 380 roues en route pour le château. réservé tous les hôtels du coin, gîtes, chambres d'hôtes et bungalows. Achats des fournitures et des tenues pour tous les officiants.

Restructuration complète du parc de 20 hectares. des km de gazon roulé arrivent par camions entiers. des arbres centenaires coupés dans la forêt sont sacrifiés comme simples sapins de Noël, pour faire une haie temporaire!

Une fourmilière à l 'air para-mondaine parade en tous sens, chacun y va de son importance et même de son insignifiance! tous les corps de métier se prennent à bras le corps pour bien mêler talents et compétences afin de venir à bout de cette entreprise de tête! et de taille...

Tous les auteurs de cette pièce en 3 actes, mettent les bouchées triples!

leurs membres tous à l'oeuvre dévalent en même temps les verticales et les horizontales, pareils à des familles d'écureuils au milieu des lianes !

Installation de lumières, spots, projecteurs, détecteurs, 3 jours et 3 nuits pour tout changer du sol au plafond, des km de tissus d'étoffes et de tentures, de la soie aux fils d'or, des rubans de satin, des dizaines de milliers d'agrafes, de semences et de clous de tapissiers,des montagnes de vaisselle shérazade, des verres en crristal gravé de Chez Lalique, des malles garnies des trésors de l'Orient, des couverts en vermeil, des cuivres et de l'argenterie à gogo!

C'est l'inventaire du faste à la façon speed and fast!

Pendant ce temps, dans les cuisines du château, des pièces de buffet sont en préparation, des pyramides de langoustes, des buissons d'écrevisses, des volailles en habit d'ambre sur des oreillers de foie gras, des poissons en bellevue sur un balcon de caviar...L'un des chefs aligne des centaines de mosaïque de truffes et de homard sur des turbots royalement étendus sur canapés avec l'oeil tout rond de surprise sur les toques en mouvement...

Des chambres froides installées pour l'occasion, des fours monumentaux livrés en urgence par avion privé, pour cuire des agneaux entiers farcis d'un riz aux épices.Tous les légumes du jardin, les fruits de la création jonchent l'espace, pour rejoindre bientôt des paniers de fleurs et de palmes.Une tente dressée sur la terrasse, vue sur le lac et la forêt aux couleurs flamboyantes de l'automne ; non loin de là, des biches effarouchées qui se demandent à quelle sauce elles seront mangées!

Troisième jour.

Des genoux sur les rotules, plusieurs douzaines de yeux cernés, 10 disputes en couloirs, 1 disparition( un homme de service parti chercher des cigarettes), 2.3 crises de larmes, 3.4 crise de nerf, 5.6 rhumes de cerveau, 7. 8 migraines, 167 maux de pieds, 1 mal au doigt de celui qui commande,quelques coupures, 3 écorchures, 9 brûlures, 11 extinctions de voix, 220 palpitations, un seau de coups de barre, des pelles de patience

distribuées avec les casse-croûte... quelques dizaines de bouteilles de champagne circulent discrètement ...

ENFIN! 13h.30! tout est prêt! on reste tapi dans l'attente et l'effervescence retombe doucement sur le tapis rouge.

15H; TOUJOURS RIEN! 16h.30. des rumeurs de son arrivée princière!

Ils ne seraient que 18, et fatigués du voyage, ne désirent pas vraiment se restaurer!... ou alors juste histoire de rester politiquement correct!

Bon, un peu de bonne volonté, ils ont grignoté des filaments d'agneau, et goûté du bout des lèvres des pâtisseries libanaises!

17h.30. 1 polonais noir, une cuisinière marron, 1 cheville et un poignet foulés, une dépression nerveuse.

4320 minutes non stop viennent de s'écouler dans un luxe fabriqué en France par des mains internationales, qui n'ont même pas défait leurs lits d'hotel!

Fin du troisième jour.



15 Juin.



Départ pour Abidjan, pour un voyage missionnaire de 3 semaines.

16 Juin. première visite à la prison de Yopougon. Dès que l'on a passé la lourde porte de la prison, c'est comme une chape de béton qui nous tombe dessus. Nous découvrons un monde terrifiant, oppressant, inhumain,on est submergé par la détresse.

On apporte avec nous des seaux de haricots cuits, des vêtements, des savons, des médicaments, et du matériel pour désinfecter les cellules de l'infirmerie. Ce local n'a d'infirmerie que le nom!: le dénuement, l'insalubrité, et la saleté l'ont transformée en antichambre de la mort. .. un cadavre gît dans le couloir, et au fond d'une cour d'autres cadavres, "oubliés" là depuis un mois, nous dit-on. L'odeur est irrespirable, la tension insoutenable.

Avec Elie, je suis allée distribuer la bouillie de haricots dans la cour intérieure de ce bâtiment. Là, j'ai eu le coeur entièrement brisé! Certains devenaient fous par la faim, nous avons disposé les gamelles, les unes après les autres, là par terre,dans la fournaise, sans aucune ombre, et plusieurs ont voulu se jeter sur les seaux pas encore ouverts! on a commencé la distribution, une tasse pour chacun, c'était lourd et pesant, un enfer de béton infecté de bêtes et de parasites. personne ne parlait. L'odeur était fauve, suffocante, les besoins immenses, la maladie partout, la dysentrie

Je n'ai pas pu m'empêcher d'éclater en sanglots, anéantie, dépassée par cette masse de douleur, sous le soleil.

Monique