Destination : 213 , Zen


« Non »

Il vocifère le menton haut. Il postillonne et cela fait jaillir de minuscules gouttes irisées. Que dit-il ? Je ne sais pas, je n’entends plus. Le grand blabla habituel. Il est prisonnier des mêmes mots placés au même endroit dans les mêmes phrases.

Une mouche lourde, bourdonnante est entrée par une fenêtre restée ouverte malgré le vent froid.

Sa main s’élève, décrit des cercles gênant le vol de la mouche qui volète au-dessus de sa tête.

Son index, qui se voudrait une arme, me pointe. Cela m’est complètement égal. Je suis à présent ancrée dans le sol. Je sens ma base forte, puissante, rien ne pourrait me renverser. Je me sens glacier, menhir. Sa main devient poing qui s’abat sur la table. La pauvre chose vibre en gémissant. Une table est une table, un meuble, ce n’est pas moi, je ne me projette pas dans cette chose. A présent il secoue la chaise, bien moins résistante que la table. Il se venge toujours sur cette chaise, allez savoir pourquoi, elle n’est pas différente des trois autres et ce n’est pas MA chaise. D’ailleurs j’ai vécu longtemps sans meuble et j’étais heureuse assise par terre comme un bédouin inventant des pique-niques sur le parquet.



J’évalue qu’il est à deux enjambées de moi. Cela m’indiffère, je ne reculerai pas. Je le regarde mais il est devenu transparent. Derrière lui, par la fenêtre, je regarde des pies qui se disputent une branche de pin. Elles ont l’élégance des maîtres d’hôtels mais l’âpreté et la méchanceté des voyous.



Il vocifère et sa voix devient plus grave, la hargne doit pincer douloureusement ses cordes vocales. Il rougit aussi. Cela commence toujours par le cou puis envahit, par vague, le visage. Ses veines se gonflent. Quel travail elles doivent accomplir. J’ai pitié de ce réseau si complexe, si parfait qui doit contenir et réguler tant de venin.



Soudain, il avance vers moi la main bien ouverte. Je sais ce qu’il veut faire et avec un calme sans faille, une détermination droite, lisse, tendue, je dis « Non ».

Il me regarde hébété, sa main retombe en jouet cassé. Il n’a vraiment pas l’habitude qu’on lui dise « Non ». Il affiche une telle expression stupide que je quitte la pièce pour ne pas éclater de rire. Je ne veux pas l’humilier j’ai été la plus forte et cela suffit.



Je bois lentement un grand verre d’eau sur la terrasse. Un commando de mouettes passe en braillant des ordres qu’avale le grand silence du ciel. J’entends un enfant qui imite leur cri, c’est très ressemblant. Je ris puis je rentre préparer ma valise.



EVELYNE W