Destination : 232 , Distances


Par une nuit étoilée

Au loin le Mont Ventoux offre son dos de géant au ciel étoilé. Mademoiselle, comme on le surnomme, le regarde depuis sa terrasse dans la Haute Ville de Vaison-la-Romaine.

Tout en bas coule, calmement, l’Ouvèze. Un traite cet affluent, un sournois furieux qui a tué dans sa course tumultueuse et boueuse plus de quarante habitants le 22 septembre 1992. Il voudrait chasser ce souvenir douloureux qui l’a habillé de noir. Au fond de la chambre aux murs du XVIème siècle, sur un antique coffre espagnol, sourit, dans un cadre d’argent, la photographie un jeune homme blond.



Mademoiselle accroche ses pensées au sommet du Mont et se remémore les tours de France qui en faisaient une étape. Les vélos qui zigzaguent d’épuisement. Certains chutent, d’autres gagnent : Raymond Poulidor en 1965 (Gimondi s’échappe dans la montée, il jette de temps en temps des coups d’œil furtif derrière lui et il a bien raison car voici Poulidor qui le rattrape, ils sont au coude à coude, le suspens saisit la foule amassée, et Poulidor, dans un effort parfaitement maîtrisé, dépasse l’italien et file vers la victoire.) Eddy Merckx en 1970 (Une gueule de chanteur à la Elvis, magnifique de souffrance et de ténacité. Il lutte en danseuse sur la pente raide et caillouteuse, le soleil est assassin. Il est seul. Derrière lui c’est l’hécatombe. Chaque mètre compte. Il arrive, il se plie en deux, un malaise enfonce son poing dans sa cage thoracique. On le soutient jusqu’à une ambulance. Il n’a presque rien dit. Les journalistes et photographes rassemblés en meute sont déçus).



Mademoiselle regarde soudain le ciel étoilé. Là, il la reconnaît, la constellation de l’aigle, comme un charmant parapluie.

Il lui disait en l’attirant ver lui « Regarde le dessin que forment les étoiles, l’aigle de Zeus veille sur nous. » Il éclatait de rire comme toujours. Sa règle de vie, rire de tout. Un menteur, un plaisantin, un voyou si plein de vie immédiate. Avec lui, il avait appris à aimer les caresses, lui, qui avant de le rencontrer, rejetait maladivement tout contact physique.

Mademoiselle se souvenait, qu’en magicien, il avait tendu la main vers les étoiles, l’avait refermée, puis avait envoyé le contenu fantôme dans ses yeux. « Voilà, les étoiles sont tout près de toi ». C’était vrai, dans son regard noir la constellation pétillait.

Son unique amour. Il frissonna.

Août quittait la scène sur la pointe des pieds, laissant dans son sillage des nuits voluptueuses parfumées par les lauriers roses et les figuiers soupirants.

Soudain une pluie d’étoiles filantes. Mademoiselle la reçoit comme un magnifique présage de renouveau. Sa tristesse se lézarde laissant échapper une bouillonnante envie de vivre. Il abandonne sa robe de chambre noire, se vêt de blanc et sort marcher le long de l’Ouvèze.



Sur l’antique coffre espagnol, dans son cadre d’argent, la photographie du jeune homme blond n’en perd pas son sourire.



Evelyne W