Destination : 259 , Débuts de rentrée


La messagère

Suite de la première phrase du roman de :

Eva Ionesco : Innocence



La messagère



« Je ne me souviens pas de grand-chose de ma toute petite enfance, sinon que j’habitais avec mes parents en face du parc Monceau. Mon père travaillait comme représentant chez IBM et ma mère, Irène, tenait un restaurant iranien du côté de Saint-Augustin… »



Elle se raconte sans pudeur avec une naïveté et une confiance qui m’agace. Que croie-t-elle ? Que je peux être une amie ? J’éprouve juste un peu de pitié.



Je me demande ce que mon fils a pu lui trouver d’attrayant. Elle a les cheveux presque rasés d’un blond douteux, des sourcils très fournis et noirs surplombant de larges yeux frangés par de longs cils. Ils pourraient être séduisants si un regard inquiet, quémandeur, angoissé ne venait déranger leur superbe dessin. Elle a les bras tatoués comme un bagnard. Cela sent à plein nez la révolte contre sa classe sociale.



Comme je suis mal à l’aise. J’avais pris la décision de partir au plus vite mais une sorte de tristesse douloureuse me colle le derrière à la chaise.

Je sue et je frissonne en même temps.



« C’est certain, vous ne voulez rien boire ? » me demande-t-elle pour la troisième fois. Je fais non de la tête. Il va bien falloir que je parle. Je ne peux pas rester ainsi face à elle mon sac à main collé à mon estomac.



« Vous aimez le cinéma iranien ? » Je lâche « Oui. J’ai vu trois films, il y a longtemps, réalisés par un homme et aussi une femme. J’ai trouvé cela plein de force, d’humanité et de poésie » Mais qu’est-ce que je suis en train de raconter. Je ne suis pas venue pour discuter béatement de cinéma. Je deviens ridicule.



Soudain animée par l’exaspération, je sors précipitamment une lettre de mon sac et la dépose avec violence devant elle.

« Excusez-moi d’être brutale. Voilà je suis juste la mauvaise messagère de mon fils. Il a accepté un poste en Arabie Saoudite. Il met fin à votre relation. C’est un lâche, il n’assume pas ses actes, cela me désole mais c’est ainsi. »



Je m’enfuie la tête baissée, les poings serrés. Mon fils c’est la dernière fois que je fais une telle chose pour toi.

Mais n’avais-je pas dit cela déjà …

EVELYNE W