Destination : 34 , Sous le soleil d'Ailleurs


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Un village semblable à ceux que l'on trouve dans les pays

méditéranéens, brulant l'été, glacial et venteux l'hiver. La terre est
propice aux oliviers et aux plants de vignes. A quelle époque, les hommes

sont ils venus y planter leurs souliers. La vie s'écoule au rythme des

saisons, faite de labeur, de bonheurs simples mais aussi de papotages et de

jalousies.



La famille M. était arrivée un beau matin dans une camionnette

brinquebalante, croulant sous les matelas, quelques meubles déglingués et

autres objets de cuisine. Les commères décrétèrent "qu"ils n'étaient

surement pas sans rien" puisqu'ils s'installaient dans la maison en ruines

du bout du village. Au début, ils n'étaient pas très bavards, travaillant

dur pour remonter les vieux murs. Ils avaient quatre garçons qui

s'adaptèrent très vite et ne demandèrent qu'à courir la montagne avec leurs

nouveaux copains. Mais la mère veillait et ils devaient aider souvent aux

travaux. L'homme fut plus ouvert et prit vite l'habitude d'aller le soir au

petit bistro qui faisait épicerie. Deux tables accueillaient les

consommateurs, au milieu de bocaux de lentilles, quelques bonbons et sacs de

farine. C'était le moment des rires , de la détente. On essayat bien de lui

poser des questions, mais il restait avare de détails. Il venait de Grêce,

sa femme s'appellait Marie mais il n'en disait pas plus. Qu'importe, il

suffisait qu'il tape la carte, boive sa chopine et on l'adopta vite.



Seule la femme paraissait étrange. Ne frayant avec personne,

elle travaillait au jardin, s'occupait de la maison et tirait les volets aux

premiers rayons de soleil. On ne lui donnait pas d'age et pourtant elle

avait quatre garçons. Deuil après deuil, elle était éternellement vêtue de

noir, le visage buriné traversé de deux lèvres pincées, des yeux d'un bleu

comme délavé par les larmes. Ses lèvres avaient pourtnt du connaître le

baiser et le corps les étreintes de l'amour ?



-Une Société minière vint s'installer dans la région et les

hommes commencèrent à partir toute la journée. Tôt le matin, les enfants

rejoignaient l'école de l'autre côté de la montagne. Les femmes régneraient

en maitre, chacune à san labeur mais se regroupant de temps à autre pour

"boire le café". Seule la Marie ne se joignait pas au groupe. Vint la soirée

de la castagnade où le village fait griller les chataignes en buvant la

piquette qui fait des centenaires. La Marie ne vint pas, elle avait la

migraine et celà fait hocher bien des têtes.



Tous les après midi, elle allait conduire ses chèvres à

l'herbe nantie d'un petit sac contenant son tricot, son petit bout de pain

et de fromage. Certains l'avaient rencontrée le soir au retour mais elle ne

les avaient mème pas vus et trébuchait dans les cailloux. La fatigue de la

journée sans doute. Un soir, elle se hasarda en rentrer chez l'épicière qui,

la brave femme, lui offrit le café et la voyant si fatiguée, y réjouta une

goutte de gnole. Les yeux pâles s'éclairerent. Elle émut la tenancière qui

la trouva bien courageuse d'être si seule, loin de son pays. Elles devinrent

amies et quelques gouttes arrivaient à faire rire la Marie. Le soir, l'homme

trouvait sa soupe préparée, la femme n'avait rien à lui dire et partait vite

se coucher pour soigner sa migraine.





Les années passant, le fils ainé ramena une jeune femme

à la maison. Ils s'étaient mariés à la ville sans prévenir. La belle fille

fut bien accueillie par l'homme ; jeune, jolie et travailleuse, toutes les

qualités requises. Un petit garçon apporta bientot de la joie dans le train

train mélancolique. La Marie la supportait, rien de plus. Elle vieillissait,

mais sans age. Les rides s'étaient simplement un peu plus creusées, la peau

était plus rouge. Personne ne faisait de commentaires sur son attitude et la

respectait. Lors d'un repas, la bru donna de l'eau et du sirop à son petit

garçon. Il refusa et voulut du sirop comme celui de la mamé, celui qu'elle

allait chercher derrière la cage aux lapins. Un grand silence s'établit, les

enfants ont des idées si bizarres.





Peu à peu, la mine détruisit la sante du chef de

famille. Il se mit à tousser et dut rester au lit, épuisé. La belle fille

voulut aller chercher le docteur mais la Marie se mit en colère. Son homme

n'était qu'un fainéant et demain il redescendrait à la mine. Le soir, la

jeune femme tapa doucement à la porte de la chambre. Le couple était

endormi. La Marie ronflait bruyammant et, quand elle s'approcha du grand

père, elle s'aperçut qu'il était parti dans son sommeil. La colère, la rage

alors l'étouffèrent. Elle se retint pour une pas secouer cette femme dont

elle connaissait le secret depuis des années et dont elle n'avait jamais

parlé par respect pour la famille et pour sa propre dignité.



Statue antique, drapée dans ses voiles noirs, soutenue

par ses fils, la veuve reçut les condoléances sans réaction. Selon la

coutume, les hommes se dirigèrent ensuite vers le bistro tandis que les

femmes allaient boire le café à la maison. La Marie ne les suivit pas; elle

accompagna ses fils avec les hommes du village. On lui tendit une tasse,

elle y versa une rasade de gnole. Relevant son voile, elle se mit à hurler,

à sangloter, à rire . Elle vidait son coeur et son corps de toutes ces

années vécues comme une domestique, presque comme un animal. Pleurait-elle

sa jeunesse perdue ? Riait-elle de soulagement ? On la jugea folle et la

ramena chez elle . Les râles s'estompèrent doucement et elle s'endormit,

éreintée.



Le fils avait trouvé un emploi à la ville et les

enfants grandissaient. Seule, la belle fille continua à veiller sur la

Marie. Elles passaient toutes deux des journées sans s'adresser une parole.

Elle accomplissait son devoir, tout comme l'avaient fait les femmes des

générations précédentes.



Les anciens disparaissaient. La Marie sortait

encore, uniquement pour ses chèvres, seuls êtres à qui elle parlait. Un

soir, elle ne rentra pas. Le village la chercha plusieurs jours et plusieurs

nuits. On retrouva son corps, loin dans la montagne, plié en deux dans un

buisson de ronces, le visage innondé de sang. Les chèvres broutaient non

loin d'elle au milieu de tessons de bouteilles.





Le village existe toujours ; de temps à autre,

les jeunes viennent ouvrir les maisons pour les vacances. La maison du bout

du village tombe en ruines et redevint comme la Marie l'avait vue la

première fois. Un parfum de mystère entoure un secret qu'elle a cru emporter

avec elle mais qui était connu de tous. Les enfants voulurent tout oublier

et on ne les revit jamais au pays.

Anne-Marie