Destination : 5 , Si on s'écrivait ?


Mon aimé

Mon aimé,

Ce matin par la fenêtre, j’ai vu l’hirondelle.
Elle sillonnait l'azur en lançant sa ritournelle printanière. Sa silhouette à la queue échancrée et fourchue, aux ailes pointues, animait l'espace de son vol acrobatique. Bientôt, elle ne fut plus qu'un accent circonflexe très haut dans les nues. Seul son gazouillis, fin, mélodieux, fluide, aigu rappelait encore sa présence.
Quelle tristesse de penser qu’à l’automne, quand la mystérieuse horloge
donnera le signal du départ, les cieux seront désertés de cette présence ondulante. Je jalouse cette vie aventureuse qui emmène ces fières oiselles vers des rivages que tu fréquentes et que je ne connais pas.
Qui les averti qu'il faut quitter nos contrées tempérées ? Un matin, les fils où se serraient leurs petits corps fuselés, sont vides. Je les imagine groupées, suivant la route du soleil et des étoiles tels les premiers navigateurs. Elles consultent une mystérieuse boussole, et, guidées par des champs magnétiques dont elles ignorent l'existence, elles survolent la mer.
Certaines se perchent sur les gréements des bateaux pour se reposer d'un trop long voyage. Je pense à leur corps élancé, leurs ailes étroites et arquées se laissant porter par les courants d'air chaud. Je les vois
dépasser les vols battus et lourds des cigognes qui planent sur leurs larges ailes.
Comme j'aimerais les suivre dans ce merveilleux voyage qui les dépose sur les côtes de l'afrique ! Leur périple achevé, leur nid d'hivernage est-il au
Maroc, près de Casablanca la blanche ville au bord de l'atlantique ?
Partent-elles en Algérie, en Tunisie, en Libye ?
Moi, j'aime penser qu’elles se posent en Égypte, sur le grand delta du Nil.
Parmi des centaines d'autres oiseaux, elles voltigent alors à travers les branches des sycomores, des caroubiers, des acacias. J'aimerais tant
qu’elles se posent sur l’appui de ma lucarne pour me narrer les secrets que les crocodiles murmurent aux hippopotames au milieu des papyrus bruissant sous la brise légère.

Ce soir à la fenêtre, j’ai entendu le rossignol
Le soleil de l’ouest ensanglantait un ciel filandreux et un chant mélodieux s’éleva. Les sons flûtés, les roulades sonores vibraient dans l’air un peu frais. Les trilles soyeux suivaient des notes rauques et la romance s’acheva en explosions vocales pour mieux reprendre ensuite.
Joli rossignol, pour qui sont-ils ces arpèges syncopés que tu lances dans l’air chargé d’odeurs suaves? Pour séduire ta belle, tu narres sûrement l’histoire de ton aïeul qui connu l’empereur de chine. Il survola des palais de porcelaine fine cernés de pivoines dont les grosses fleurs blanches ou rouges, timides et honteuses, baissent leurs têtes odorantes vers un sol humide. Il vit les romantiques camélias, les hibiscus à la beauté éphémère et connut le secret des chrysanthèmes et de leurs amours fragiles. Il plana sur les eaux du Yang-Tseu-kiang où il entendit les murmures des palissandres pourpres et des santals rouges. Il savait se contenter des larmes de joie que les hommes versent en entendant son chant, il savait rester libre.
Joli rossignol parles-tu des amours mortes de Roméo et Juliette ? Tu siffles dans la brise du crépuscule ces vers célèbres :
-« Écoute, ô Juliette! L'alouette déjà nous annonce le jour! »
-« Non, non, ce n'est pas le jour, ce n'est pas l'alouette dont le chant a frappé ton oreille inquiète,
C'est le doux rossignol, confident de l'amour! »
Il aurait voulu retenir le temps et figer les heures cruelles mais l’aube pointait, il dut laisser la place à l’alouette des champs qui entamait sans pitié son chant obsédant qui poussa les amants de Vérone vers leur destin.
Tu dis que les eaux de l’Adige en parlent toujours en caracolant vers Venise
Le soir on entend bruire leur fluide langage. Si l’on prête bien l’oreille, on discerne parfois les mots du poète ! De combien d’amours malheureuses fus-tu le témoin bel oiseau du soir ?
Joli rossignol tu parles aussi de l’Afrique, n’est ce pas ? Du lieu où l’hiver tu réchauffes ton petit corps fragile, brun et beige, dans le feuillage des tamariniers. Tu racontes la rapide antilope fuyant la cruelle panthère et la lionne affamée. Tu délaisses la savane pour rejoindre les couverts de la forêt humide peuplée d’acajou, de teck, de tous ces bois précieux que l’homme détruit sans discernement. Quand tu survoles le fleuve Niger, tu frôles les froids et indifférents nénuphars, les douces et lisses fleurs de lotus. Ils susurrent dans le vent les secrets de l’Afrique chaude et parfumée.

J’ai été heureuse d’avoir vu la gracieuse hirondelle, d’avoir entendu le joli rossignol dont la conversation est si plaisante. Demain j’aurais le courage encore de rester tout prêt de cette croisée, d’y regarder l’horizon et de t’attendre mon aimé.
Dans ma tête le Yang-Tseu-Kiang, l’Adige, le Niger et le Nil murmurent encore à l’unisson

Corinne