Destination : 113 , Papa c'est loin l'Amérique ?


Ranger

Il était petit, plutôt chétif, seul l’éclat de ses yeux sombres dénotaient sa farouche détermination.
Il avait 14 ans, l’âge légal de fin d’études chez lui et avait décidé d’arrêter là sa scolarité. Il voulait travailler, gagner de l’argent, enfin pouvoir acheter des vêtements neufs, ne plus subir les moqueries de ses camarades de classe sur ses habits usés, ses souliers éculés.
Il ne voulait plus être à la charge de sa modeste famille, il voulait prouver au Père qu’il était capable. Capable, de son courage, de sa ténacité, de sa volonté sans faille. Capable comme lui n’en doutait pas, comme le Père ne le soupçonnait pas.

Il commença une vie de labeur sur les chantiers de construction. Il apprit le métier de maçon sur le terrain et progressa rapidement, passant d’un chantier à l’autre. Il avait des vêtements neufs, personne ne se moquait plus de lui. Il commençait à goûter les joies de l’autonomie, il prenait enfin sa place dans cette société. Dans les bals populaires dont il avait fait son terrain de chasse, les femmes ne résistaient pas longtemps à ses sourires de vainqueur. Il découvrait les plaisirs de la chair et ne se lassait pas de séduire. Il avait pris quelques centimètres, ses mains ne saignaient plus, une croûte calleuse s’était formée par endroit et ses épaules s’élargissaient. Son père commençait à voir en lui, un séducteur, un travailleur, un homme donc.

Il entendit parler d’une usine d’équarrissage où le travail était très dur et décida de s’y présenter. Effectivement tout y était pénible : l’odeur, le poids des charges à porter, le rythme de travail, l’ambiance. Tout le monde l’attendait au détour, lui le petit jeune qui pliait sous les quartiers de viande. Puisque personne n’y restait longtemps, puisque tout le monde pariait sur sa défaite, il décida qu’il resterait et il resta.

Vint le temps de l’armée et du service militaire, il s’y rendit avec la même farouche détermination. Il avait encore des preuves à faire.
Il suivit les entrainements avec application, fit preuve d’obéissance et de courage et obtint ce qu’il escomptait. Ses chefs le remarquèrent et il put présenter les épreuves pour entrer dans le corps d’élite de cette armée. Il rentra chez lui très fier. Son père écouta l’annonce de sa sélection avec surprise, le regard moqueur, sa mère trembla et chacun douta encore.

Il retourna dans sa caserne, suivit les enseignements des supérieurs sans se plaindre même quand il avait mal, surtout quand il avait mal. Durant plusieurs mois, il mania les armes, grimpa les poteaux lisses, subit les blâmes, rampa dans des terrains boueux ou caillouteux, courut jusqu’à entendre bourdonner ses oreilles. Jamais il ne renonça, jamais même il n’y songea. « Toujours faire un pas de plus après le dernier que tu ais pu faire », telle était la devise à incarner. Il l’incarna sans faillir et le jour tant attendu arriva enfin. Il était devenu Ranger, désormais il avait accompli plus que son devoir, il était le seul de la famille à l’être. Un sentiment de victoire et de fierté l’envahit, maintenant il avait les honneurs. Surtout son honneur était reconnu, par le plus difficile des corps d’armée de ce pays, ce pays qui l’avait rejeté tantôt. Un sentiment de plénitude, bien plus fort que les ardentes étreintes sexuelles de ses premières conquêtes, emplissait son corps et sa tête. Le Père serait fier ou pas, lui il l’était. Il avait atteint le premier des buts qu’il s’était fixé.

Lola