Destination : 240 , La peur des mots


C'est une destination à la genèse originale que je vais m'empresser de vous conter. Elle m'a été soufflée en partie par une personne qui nous lit depuis le Brésil, une de ces personnes « inconnues » qui a découvert notre atelier, l'apprécie et le suit. Passionnée de littérature, traductrice, Nicia a lu un article et s'est dit « cela ferait une bonne destination ».


Cet article, « la peur des mots, les mots de la peur », vous pouvez le consultez là : http://information.tv5monde.com/info/francais-la-peur-des-mots-les-mots-de-la-peur-140699 .

La lecture de cette article nous donne plusieurs pistes de destinations et nous fait réfléchir.


Oui, les mots nouveaux sont bien des marqueurs de l'esprit d'une société. Nous pensons avec des mots et lorsque notre pensée change, évolue, nous utilisons des mots nouveaux pour accompagner, illustrer cette pensée.

Des choses, des gens nous font peur, alors plutôt que de changer ces gens et ces choses, nous choisissons des nouveaux mots pour avoir moins peur : on ne vieillit plus, on mûrit, on ne devient plus une personne âgée, mais un senior. Guidés par un positivisme social, tout ce qui est jugé négatif doit être rebaptisé : les chômeurs deviennent des demandeurs d'emplois, les pauvres des gens en situation précaire, etc.…

C'est aussi ce que l'on a qualifié il y a une bonne quinzaine d'année : « le politiquement correct ». J'ai presque toujours lu une vive critique de cette évolution langagière. Pour une fois, j'ai envie de la défendre.

Travaillant dans le « champ du handicap », j'ai pu apprendre combien les mots « enferment », combien ils peuvent réduire une personne à des limites que l'on fixerait pour elle avec des mots. Non, une personne n' « est » pas handicapée mais elle est dans une situation de handicap dans un environnement donné, ce qui change tout : dans un autre environnement elle peut parfois n'être absolument pas handicapée. Je prendrais par exemple notre atelier : il y a peut-être parmi nous des personnes en situation de handicap physique mais lorsqu'ils écrivent, ils sont en situation de réussite. Pardon pour cette digression « politico-sociétale », mais elle peut concourir à la production d'un texte.


Plusieurs horizons se présentent pour cette destination :


1) Vous travaillez sur l'idée « des mots qui font peur » et vous recherchez une liste de mots qui vous font peur. Vous pouvez revenir en enfance pour en retrouver certains, faire preuve d'empathie et vous mettre à la place d'une fleur (qui a peur de « désherbant »). Un de ces mots peut être le centre de votre texte ou bien vous vous en faites un « logo-rallye » vous fixant comme règle d'en placer un maximum dans votre texte.


2) Vous vous attelez à la fabrication de mots et d'expressions « gentils » destinés à remplacer des mots qui vous/nous font peur. Vous pouvez pousser le bouchon un peu plus loin en fabricant même des mots et expressions pour des mots qui ne font habituellement pas peur… Je vois alors deux routes possibles : un texte de votre cru bâti à partir des mots et expressions que vous avez inventé (au lecteur de deviner les mots inspirateurs), ou bien la réécriture d'un classique de la littérature avec vos mots « politiquement corrects »). Ainsi « Mignonne allons voir si la rose... » peut devenir « Jeune fille à l'allure agréable, rendons-nous si vous l'acceptez, voir si la fleur de l'églantier... »

Possibilité aussi pour cette option de réfléchir sur la « novlangue » de G. Orwell (cf article).


3) Vous travaillez sur le deuxième versant de cette destination, son reflet : « les mots de la peur ». Cette piste me paraît plus ardue, mais qui sait ? On se concentre là sur la peur, on recherche tous les mots qui sont associés à ce sentiment, on peut aussi écrire un texte sur une peur, une crainte que l'on a depuis longtemps ou non.



Ayant eu la chance dernièrement de participer à un atelier animé par une personne du GFEN (Groupement Français d'Education Nouvelle) je vous livre ici une de leur méthode caractéristique visant à produire des textes. Passons l'étape de saisissement, de surprise, d'imprégnation, qui vise à proposer généralement un corpus de textes, avec interactions entre les participants…

Ensuite, il est proposé de relever un mot que l'on choisit et que l'on va faire « proliférer » suivant deux axes : l'axe matériel et l'axe idéel. Au hasard je prendrais le mot « douleur ».

Suivant l'axe matériel, je propose : douloureux, Dolorès, dos, doux, douloureusement, couleur, malheur, pleur...

Suivant l'axe idéel, je trouve : mal, difficile, blessure, « aïe », bleu, entorse, médicament, crainte, tristesse et … peur !

Vous le voyez, l'axe idéel vise à associer librement des mots au mot choisi sur le plan du sens, du signifiant. Quant à l'axe matériel, ce sont les sonorités du mot, des mots de même famille, qui en inspirent le développement.

Après avoir fait proliférer votre mot suivant les deux axes, vous pouvez soit prendre plusieurs mots et expressions qui vous inspireront pour votre texte, soit en choisir un seul qui dénote ou non, pour écrire votre texte. Dans mon exemple, je ne sais pas pourquoi, mais « instinctivement », je choisirais d'écrire un texte qui s'appellerait « Dolorès » !


En espérant que cette destination vous emporte aussi loin que le Brésil, j'ai envie de vous dire « n'ayez pas peur des mots, écrivez-les ».


JFP

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