Destination : 285 , M


Elle ressemble un peu à la destination m (D 168) qui était une destination « minimaliste ». Celle-ci le sera encore plus, tout au moins dans son énoncé.

Ces jours-ci, le journaliste Jean-François Kahn publie un ouvrage qui se veut une contre-encyclopédie. Vous le savez, dans une encyclopédie, de la lettre A à la lettre Z, on trouve un grand nombre d’entrées qui souhaitent (vainement?) embrasser le plus de sujets possibles pour en faire si possible le tour. JFK lui, se propose à partir d’une seule lettre, la lettre M, de nous donner sa vision du monde, de l’histoire, de la politique, de la société et de tous les sujets qu’il a envie d’aborder. A l’inverse d’un Perec qui se priva de la lettre E dans son roman « la disparition », Kahn privilégie une seule lettre, le M, pour nous proposer de tout sur tout.
Et même en se cantonnant à une seule lettre, il se permet de ne pas citer Miro ou Mauriac. Voici quelques-unes des entrées choisies par l’auteur : médias, mensonges, misère, marché, mondialisation, mort, modernité, modération, mémoire, mai 1958, mai 1968. Parmi les personnages invités, il y a : Mozart, Messager, Mayol, Montaigne, Maurras, Jean Moulin, Michelet , de Maistre, Molière, Michel-Ange, Mirabeau, Marat ou Marie-Antoinette. On y croise aussi Mitterrand, Mendès France, Mauroy, Mollet, Malraux, Marchais, Macron et Mélenchon.
Bien sûr, notre ami JFK y va de sa plume « orientée politiquement » mais il ne s’en cache pas et livre ce qu’il pense avec son humour caustique.
Mais ici, ce n’est pas les sujets que traite Kahn qui vont nous intéresser. Ce qui nous intéresse, c’est le procédé : c’est à dire d’écrire autour d’une lettre et d’une seule, le M. Pas besoin de vous faire de long discours, M, c’est la contrainte de cet atelier.
Cette contrainte nous offre cependant plusieurs pistes : la première et la plus évidente est d’écrire comme l’auteur cité, des paragraphes ayant pour titre un mot commençant par M. La deuxième, est d’écrire un texte ou des M (ou des mots commençant par M) seront importants. (Je n’en dis pas plus pour vous laisser explorer cette voie). La troisième est de pratiquer le tautogramme en M. Je rappelle qu’il s’agit de placer le plus de M dans un texte.

Ma mamie m’a mangé ma momie ! Mais maintenant mes migons m’ont maté mamie ! Manifestement mes moyens m’ont manqué. Mais mardi mon menu me manquera !

( tautogramme « automatique » que je vais envoyer chez mon psy! )

Merci de m’avoir lu,
pour vous encourager, je vous dis le fameux mot de Cambronne ? M...*


Extraits de « M la maudite », J-F Kahn, Ed. Taillandier :

...
MABOUL
Givré.

Un peu de folie fait du bien. Un excès de folie rend maboulimique.

MAC
Petit patron vêtu de costards à rayures et chaussé de grolles en croco, partisan d’un capitalisme sauvage dérégulé, sans syndicats ni charges sociales, allergique au fisc, qui s’enrichit grâce aux plus-values que lui procurent les cadences infernales de travailleuses du sexe dont il surveille la productivité et la compétitivité tout en protégeant ses parts de marché. L’ultra-libéralisme dans toute son irréalité !
[...]
MAASTRICHT
Ville des Pays-Bas. D'Artagnan, dont Alexandre Dumas n'avait pas encore fait la connaissance, y mourut au cours d'un siège. Ce qui, pour certains, était un mauvais signe.

Elle fut traitée de "Maastricht", en insistant sur le "tricht", ce qui résonnait comme "Sigmaringen". Elle n'en fut pas affectée outre mesure. De ce pacte entre pays européens résultait, en particulier, qu'un déficit excessif et une dette abyssale n'étaient pas convenables. De quoi je me mêle ! Les "souverainistes" hurlèrent au scandale. Ils obtinrent d'ailleurs satisfaction car, pendant plus de vingt ans, on n'en tint aucun compte.

Le traité de Maastricht, auquel la droite radicale et la gauche radicale s'opposèrent de concert (mais aussi de vrais hommes d'Etat comme Philippe Séguin ou Jean-Pierre Chevènement), donna corps au grand rêve européen en accélérant la dynamique de l'union économique et monétaire, dont l'avènement de la monnaie unique, l'euro, progrès majeur, constitua le couronnement. Grand rêve ? Mais les "rêveurs", le traité contribua en même temps à les réveiller en définissant des critères de "conformité" qui devaient plus à la stricte orthodoxie financière qu'à l'utopisme hétérodoxe des premiers temps.

Jean Monnet était encore un peu là, mais Victor Hugo, désormais, était loin. Et Jean Jaurès, plus loin encore. On proposait un "mode de", plus qu'un modèle. Les premières fissures apparurent. La Grande-Bretagne veillait au grain. Sur recommandation américaine, elle s'était ralliée au projet communautaire afin de faire en sorte, de l'intérieur, qu'il ne se réalise qu'à demi. Au pire, qu'il ne se réalise jamais. Quand elle eut peur qu'il se réalisât trop, elle se retira. En attendant, elle avait obtenu que le social n'empiète en rien sur l'économique; que le diplomatique reste en filigrane, qu'en la matière l'hégémonisme américain ne fût au mieux qu'écorné, que fussent admises des ratifications partielles. C'est-à-dire au rabais. A ses côtés, le Danemark sauta sur l'occasion. On officialisa, en outre, la cohabitation de deux unions au sein de l'Union, celle qui adoptait l'euro et celle qui restait en dehors. Comme si l'Amérique du dollar avait intégré des Etats à livres sterlings et des Etats à pesos.

[...] Derrière le refus ou l'impossibilité de construire des Etats-Unis d'Europe, ce qui pointe, c'est le danger d'évoluer vers une vague confédération des Nations désunies d'Europe.

McCARTHY
Ce qui l'alimenta, c'est la hantise du danger que représentait un communisme ayant pris la forme stalinienne. On sait que la hantise légitime du danger que représenta, par exemple, le lepénisme a pu aussi générer un maccarthysme de gauche avec listes noires. Il suffisait que le Front national cite, à des fins tactiques, les travaux d'un intellectuel pour que ce dernier sente le soufre et soit disqualifié.

A l'inverse, l'exploitation des angoisses générées par l'ampleur des flux migratoires jette les bases d'une résurgence d'un "maccarthysme" réactionnaire à droite.

Ce maccarthysme encourage une délation inquisitoriale : Balancetonrouge !

Balancetonporc !

MACAO
Ex-enclave portugaise sur la côte chinoise, en face de Hong Kong, casino géant où l’on ne joue pas seulement au nain jaune.

MACARON
Le summum de l’inventivité polémique et de l’intelligence pamphlétaire, à en croire les réseaux sociaux, c’est de surnommer Emmanuel Macron « macaron » !

La verve, à ce niveau, c’est du gâteau.

MACARONI
Dans la famille des pâtes, c’est un tube. Italien comme ‘O sole mio.

Une petite xénophobie ordinaire nous incite à surnommer les Italiens les « macaronis ». C’est comme si les Italiens avaient, en se bouchant le nez, surnommé les Français les « camemberts » !

MACÉDOINE
Territoire balkanique d’où partit Alexandre le Grand pour sa grande aventure. Après sa mort, sa succession déboucha sur un mélange très conflictuel d’une large diversité de grosses légumes.

MACÉRÉ
L’idée selon laquelle on s’imprègne de ce dans quoi on est plongé est discutable.

Beaucoup d’anticléricaux avaient macéré dans la religion. Beaucoup de gauchistes macérèrent dans le capitalisme. Notons qu’à la chute de l’Union soviétique, se manifestèrent, en revanche, parmi ceux qui y avaient macéré, peu de gauchistes et d’anticléricaux.



MAURRAS (Charles) (1868-1952)
Une idéologie est-elle défendable quand sa pratique ne s'investit que dans des insanités ? Quand elle ne débouche que sur des erreurs ? La question vaut, naturellement, pour les fascismes ou les intégrismes religieux comme pour le stalinisme ou le maoïsme. La réponse aussi.

La liste n'en est pas moins longue des intellectuels, au sens large du terme, qui s'abandonnèrent a des prétentions théoriques sans être découragés par les aberrations des pratiques sur lesquelles elles débouchèrent.

Le constat vaut pour l'idéologie maurrassienne, cet agnosticisme ultraclérical mis au service d'un absolutisme réactionnaire radicalement xénophobe, donc raciste, au dogmatisme en béton armé. [...]

Lorsque, en février 1944, les SS appuyés par la Milice se lancèrent à l'assaut du réduit résistant du plateau des Glières, Maurras se déshonora en quelques lignes : "Si, ce dont on peut douter, il subsiste en eux [les résistants] une ombre de conscience, elle doit endurer des transes cruelles." Transes qu'il s'épargna. Et aussi beaucoup de ses affidés que la succession de ces indignités et cette dissolution du "nationalisme intégral" dans la trahison intégrale laissèrent totalement froids.

André Maurois, dans les années 1950, vantait encore sa "douce vigueur de langage"... Admirable litote pour une rhétorique de guerre civile. Plusieurs de ses disciples accédèrent encore à l'Académie française après la guerre. Les dictionnaires et les encyclopédies, qui, avec raison, diabolisent Marat, généralement épargnent Maurras. On célèbre le classicisme stylistique (en fait la rigidité corsetée) d'un écrivain qui, outre qu'il exécrait le romantisme, voulut toujours ignorer qu'il put exister une littérature allemande, anglo-saxonne ou orientale. Cas limite de momification vivante.[...]

MÈTRE
Pour mesurer un mètre, il faut un mètre.

MEUTE
Groupe cimenté par son agressivité et sa méchanceté. Qui va à la chasse garde sa place. Pas amour, à mort ! Ce qui permet à l'homme d'être un loup pour le loup qui s'avère être un homme. Mélenchon et Sarkozy eurent ce point commun : ils constituèrent autour d'eux des meutes de chiens courants qui dévoraient tout cru tout contradicteur transformé en gibier. Complément d'une conception de la politique ou les phrases sont des cartouches qui projettent des mots plombs. Mais ni l'un ni l'autre ne purent éviter les accidents de chasse.[...]

MOÏSE
Prophète juif. Socialiste avant la lettre puisqu'il annonça une Terre promise à laquelle il ne parvint jamais. Apporta a son peuple et au monde les Dix Commandements, qui furent tous et systématiquement violés. Beaucoup de Juifs, dans l'histoire, de Jésus à Trotski en passant par Marx et Rosa Luxemburg, de saint Paul à Spinoza, de Samson qui renversa les colonnes du Temple à Krivine qui aurait bien aimé en faire autant, se voulurent porteurs d'un message révolutionnaire. En quoi, sans que la plupart s'en réclamassent, ces prophètes, idéologues ou activistes se placèrent dans le sillage de celui qui, plus que quiconque, contribua à changer, à bouleverser, à chambouler le monde : Moïse. [...]


* Oui, je sais, dire qu’il est de Cambronne est une légende, mais cela fait partie de notre culture… Ce serait la faute à un journaliste - encore un - de lui avoir attribué, à tort, le mot !

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