Destination : 289 , Etats seconds


Oui, nous étions en période de fêtes, des moments propices aux états seconds. Loin de vouloir encourager l’utilisation de drogues, alcool et autres psychotropes, je vous encourage cependant à explorer ces autres états de conscience que celui dit « normal ».
Dans quels cas pouvons-nous dire que nous nous trouvons dans un état de conscience second ou altéré ?
Sans dresser une liste exhaustive, voici les cas que je recense :
- les états d’ivresse, allant de ses débuts, jusqu’à la perte de conscience. Notez ici que pour être en état d’ivresse, il n’y a pas que l’alcool. Il peut aussi y avoir l’amour, un intense bonheur, la respiration d’un gaz hilarant…
- les états de transe : ils peuvent provenir d’une pratique religieuse, ésotérique ou occulte. La pratique de certaines danses, l’écoute de musiques appropriées, la consommation de drogues peuvent aussi permettre d’entrer en transe. Il y a aussi les cas de transes liés à des manifestations psychologiques : démence, hystérie…
- les états d’ « émotions excessives » : que ce soient la colère, la peur, la haine, la joie, la surprise, la tristesse ou l’amour, leur manifestation particulièrement intense peut donner lieu à un état second chez la personne qui les ressent.

Il y a bien d’autres cas qui permettent de dire qu’une personne est dans un état second, je pense aux personnes qui sont encore dans leur rêve (somnambules), à celle qui ont des désordres psychologiques (double personnalité, bipolarité, schizophrénie, dépression, paranoïa…). Il y a celles aussi qui font des « burn out » ou des « bore out », qui divaguent ou qui déraillent...

La définition que je vous propose d’un état second - s’il peut y en avoir une - est l’état d’une personne qui n’est pas dans son état normal, qui ne se conforme pas - comme habituellement - aux conventions, us et coutumes de son environnement.
L’idée de cette destination est de produire un texte qui rende compte d’un état second, quelque soit le type de texte. Bien sûr, tout le texte peut ne pas être « en état second », on peut imaginer une évolution avec un élément déclencheur qui entraîne l’état second chez un personnage. Tous les personnages peuvent aussi être atteints d’état second.
Vous pouvez faire preuve de fiction complète, plonger dans vos souvenirs, voyager en poésie…
Je ne vais pas ici vous apprendre que nombre d’écrivains aiment les états seconds pour écrire ou vivre, bien que cela soit un peu passé de mode. La « beat generation » de Ginsberg1 à Kerouac2 en passant par Bukowski3 s’est généreusement illustrée dans ce domaine au cours des années 50 à 70 mais il ne faut pas oublier nos glorieux poètes français Apollinaire4 ou Baudelaire qui n’hésitaient pas à se plonger dans des états de conscience modifiée. Plus proche de nous dans le temps, il y a les Bret Easton Ellis5, Jay McInerney avec peut-être leur représentant français en la personne de Frédéric Beigbeder.
Faites ce que vous voulez, écrivez nous quelque chose d’étrange,
mais revenez-nous dans votre état « normal » !

NB : Je n’encourage en aucun cas la prise de drogues et autres substances hallucinogènes ou alcoolisées pour la production de votre texte. Je vous invite juste à vous enivrer d’imagination et de poésie.

1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Allen_Ginsberg
2 http://www.lesinrocks.com/2016/07/02/arts/beat-generation-bonheur-drogue-11851040/ un article sur la beat generation et la drogue.
3 http://www.youtube.com/watch?v=r_FmMqMu_9k (la célèbre intervention de Buk à Apostrophe)
4 http://damienbe.chez.com/alcools.htm (le recueil alcools d’Apollinaire)
5 http://www.vanityfair.fr/culture/voir-lire/articles/breat-easton-ellis-comment-j-ai-ecrit-american-psycho/32049 (Bret Easton Ellis raconte comment il a écrit son roman best-seller ).

Extrait de « Cortège » in « Alcools » de Guillaume Apollinaire :
[...]
Un jour
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je sache enfin celui-là que je suis
Moi qui connais les autres
Je les connais par les cinq sens et quelques autres
Il me suffit de voir leur pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers
De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux
De voir leur langue quand il me plaît de faire le médecin
Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète
Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères
La monnaie des aveugles les mains des muets
Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture
Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans
Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises
L'odeur des fleuves dans leurs villes
Le parfum des fleurs dans les jardins publics
O Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi
Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne
Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline
Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes
Il me suffit de goûter la saveur de laurier qu'on cultive pour que j'aime ou que je bafoue
Et de toucher les vêtements
Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non
O gens que je connais
Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas
Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit
De ressusciter les autres
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime
Parmi lesquels je n'étais pas
Les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes
Sous-marines où les tours seules étaient des îles
Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs
Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur
Puis sur cette terre il venait mille peuplades blanches
Dont chaque homme tenait une rose à la main
Et le langage qu'ils inventaient en chemin
Je l'appris de leur bouche et je le parle encore
Le cortège passait et j'y cherchais mon corps
Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même
On me bâtit peu à peu comme on élève une tour
Les peuples s'entassaient et je parus moi-même
Qu'ont formé tous les corps et les choses humaines
[...]

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