Destination : 298 , Agri-cultures


Bienvenu.e.s à bord de cette nouvelle destination. Au départ, il y a la lecture du passionnant dernier numéro de Books avec son dossier « avons nous eu tort d’inventer l’agriculture ? ». Je vous plante rapidement le décors : les premiers groupes humains étaient des chasseurs-cueilleurs et nous en descendons tous. Puis, certains groupes, notamment du côté du proche orient se sont progressivement sédentarisés : ils se sont aperçus qu’ils pouvaient semer des céréales, élever des animaux pour les avoir dans leur environnement proche. Des spécialistes, dans Books, font remarquer que cela ne s’est pas passé aussi simplement, ont du coexister les deux modes de vie : une agriculture accompagnée de chasse et de cueillette dans un environnement le permettant.
Mais venons-en au cœur du dossier : est-ce que les sources de nos maux humains ne viendraient pas de l’invention de l’agriculture, qui n’est finalement pas quelque chose de naturel. Comment vivaient les chasseurs-cueilleurs ? En prélevant simplement dans leur environnement la nourriture dont ils avaient besoin : racines, céréales, baies, animaux, feuilles, fruits…
Longtemps nous avons pensé que ce mode de vie « dans le présent » représentai l’insécurité de ne pouvoir stocker, de ne pouvoir contrôler les besoins alimentaires, les « gérer ». Hors, c’est un raisonnement qui est hérité de notre culture actuelle.
Près de la Turquie actuelle, des archéologues ont comparé des squelettes de chasseurs-cueilleurs à ceux de leurs descendant sédentaires et ils se sont aperçus d’une nette diminution de taille, de problèmes de santé plus courants chez les premières sociétés agricoles. Ils ont mesuré qu’il avait fallu plusieurs milliers d’années pour retrouver des caractéristiques semblables.
Selon certains chercheurs la sédentarité liée aux premières sociétés agricoles a entraîné les premières concentrations humaines avec tout ce qui allait avec : développement de maladies parasitaires, problèmes de déchets, maladies en lien avec la proximité des animaux d’élevage, carences alimentaires et famines liées aux mauvaises récoltes.
De libre, l’homme serait devenu esclave d’un environnement qu’il cherchait à apprivoiser, dominer. Pire, selon ces chercheurs, les premières sources d’inégalités seraient apparues à ce moment là : des castes dominantes en faisant travailler d’autres, confisquant les réserves, les semences… Les premiers impôts sont d’ailleurs des impôts agricoles sur des céréales le permettant. (A noter que des petits malins de l’époque arrivaient à cultiver des plantes qui n’étaient pas imposables techniquement par les « chefs »).
Vous aurez noté mes conditionnels parce que je pense que tout cela est encore de l’ordre du débat et c’est sûrement ce qui est intéressant. A l’heure où nous nous interrogeons tous sur notre rapport à la nature, ce genre de controverse a son intérêt.
Pour savoir comment vivaient les chasseurs-cueilleurs, nombre d’ethnologues sont allés à la rencontre des derniers peuples vivant au vingtième siècle encore sur ce mode là. Citons ici les bushmen, (44 000 ans d’existence) qui sont relativement égalitaires dans leur fonctionnement, partageant équitablement le produit de leur chasse et de leur cueillette. De plus ils sont relativement pacifiques ce qui n’est pas le cas de tous les peuples chasseurs cueilleurs étudiés. Malheureusement, le territoire des Sans (ils préfèrent cette appellation à celle de bushmen « coloniale ») comme ceux d’autres peuples vivant sur le même mode est grignoté par l’expansion de notre civilisation en développement exponentiel, sans cesse plus avide de matières premières, de terres cultivables, d’eau.
Quelques chercheurs citent des peuples de chasseurs cueilleurs ayant vécu une vie d’abondance et des recherches montrent que le temps à passer en chasse / cueillette est inférieur à celui que demande l’agriculture, le temps excédentaire étant mis à profit pour des échanges sociaux, de traditions, de famille. Pour finir de vous convaincre mesdames, les femmes de ces peuples se déplaçaient comme le reste des membres ce qui faisait qu’elles avaient beaucoup moins d’enfants (de 1 à 3) et ainsi plus de temps de vie et une plus grande considération dans leur tribu…
Bon, mon exposé est bien sympathique, mais j’en vois qui se demandent où est-ce qu’il est en train de nous laisser dériver, le capitaine !
J’en reviens à l’agriculture, à la remarque toute simple que ce mot est composé de agri (le champ) et culture (cultiver). Ce que j’aime c’est que le mot culture a aussi le sens en français de cultiver son esprit avec l’éducation, l’école, le savoir (d’autres semences que nous nous transmettons les uns les autres). En prenant un peu de recul, nous avons tous un rapport plus ou moins direct avec l’agriculture : que ce soit dans notre alimentation si nous cultivons un jardin, avec nos voisins si nous habitons à la campagne, ou avec notre famille (dans mon cas tous mes grands parents étaient agriculteurs (on disait cultivateurs) ou éleveurs, pour ne pas dire paysans). En 1946, près de 80 % de la population française vivait de l’agriculture, chiffre qui n’a fait que baisser pour atteindre 3,5 % de la population active en 2010. Je ne vais pas vous parler de la situation des petits exploitants aujourd’hui tant elle est triste, dramatique et même honteuse. Alors qu’il n’y a jamais eu autant de bouches à nourrir, notre système ne permet pas à ces personnes qui donnent tout, de vivre dignement de leur métier.

Voilà, nous sommes partis de la préhistoire pour parvenir à nos jours, j’espère que vous avez fait un bon voyage et que vous parviendrez à nous envoyer une petite carte postale puisant dans un thème, une image, un vécu, une réflexion, une pensée, une poésie, un dialogue liés à l’agriculture.

Pour les références culturelles, je vous propose des philosophes :

- Michel Onfray, qui parle de ce thème dans le premier tome de sa brève (pas si brève, c’est un peu longuet même) encyclopédie du monde : « Cosmos », Ed. Flammarion, 2015
http://blogs.mediapart.fr/ivan-scotti/blog/021116/cosmos-de-m-onfray-ou-lontologie-manquee-la-critique-dun-scientifique (critique que je partage presque complètement).


- Pierre Rhabi « paysan-philosophe » pionnier en France d’une agriculture écologique. Nous citerons le best-seller « La sobriété heureuse », éditions Acte Sud, 2010
http://www.pierrerabhi.org/

- Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (plus rapidement appelé Schelling!) , fondateur de la Naturphilosophie, courant de pensée d’origine allemande, que les puristes n’aiment pas traduire par « philosophie de la nature ». A découvrir ou redécouvrir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Naturphilosophie

Et bien sûr le dossier de Books : http://www.books.fr/avons-tort-inventer-agriculture%e2%80%89/

Allez, on sort les bêches, on se retrousse les manches, on sème, et on récolte !

JFP

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