Destination : 322 , Pardonnez-moi


Pour cette 322ème destination, je vais commencer par vous raconter une petite histoire.

C’est l’histoire de Stefan Gerber, il vit dans l’ex-RDA, près de Dresde, en 1980, il a 15 ans. C’est un beau et grand jeune homme prometteur, poli, serviable, doué d’une intelligence vive et qui rêve de faire des études pour devenir médecin. Au lycée, en cours d’éducation sportive, il lui faut apprendre à lancer des grenades factices, empoigner une arme et tirer. Cela Stefan, membre d’une organisation de jeunesse de l’Église luthérienne, ne peut s’y résoudre. De même qu’il ne peut réciter à haute voix « Die Schlesischen Weber », poème écrit par Heinrich Heine en 1844 sur la révolte des tisserands de Silésie, qui célèbre la classe ouvrière et maudit Dieu. Tout au plus le murmure-t-il en serrant les lèvres lorsque c’est à son tour de le réciter devant tout le monde.
Alors Stefan est convoqué par le directeur qui l’admoneste et le réprimande devant sa professeure principale, Sigrun Scholl, chargée de surveiller ces jeunes récalcitrants. Il n’adhère pas non plus, comme il est fortement conseillé, aux FDJ, le mouvement de jeunesse officiel de la RDA. Malgré tout, Stefan a des amis car c’est un garçon fort sympathique. Stefan n’abdique pas, il veut rester intègre et libre, alors ses amis aussi sont intimidés, menacés de sanction s’ils le fréquentent de trop près, s’ils lui témoignent de l’affection. Au printemps 1982, Stefan arbore l’écusson « De l’épée à la charrue » témoignant de son appartenance aux jeunesses luthériennes. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : il est interrogé, menacé en présence d’un officier de l’armée nationale populaire… La Stasi le suit de près, il devient un « ennemi de l’Etat ». Il est exclu de son établissement et envoyé dans un lycée technique, son dossier le suit. Même à l’usine on ne veut pas de lui. Il refuse par la suite de faire son service militaire dans l’armée nationale, demande une autorisation de sortie du territoire.
À l’automne 1988, il est déchu de sa nationalité est-allemande, on lui donne trois heures pour quitter le territoire. Stefan ne sera jamais médecin, il finira bien par travailler dans un hôpital, pour y nettoyer les sanitaires. Aujourd’hui, il a 55 ans, une famille, mais une vie brisée par le système de l’ex-RDA ; il fait partie de ceux que le parlement allemand appelle officiellement « les élèves persécutés ».
Il y a quelques mois, rongée par les remords, sa professeure principale de l’époque, Mme Scholl, aujourd’hui âgée de 82 ans, décide de lui écrire pour lui confier ses regrets. Elle a tellement honte qu’elle n’ose lui demander pardon. Pour elle aussi la période n’a pas toujours été facile, son frère connaissant un sort proche de celui de Stefan. Mais elle a choisi son camp, elle croyait dans le système, pensait aider son pays en se montrant exemplaire, en luttant contre « les ennemis de l’Etat ». Elle reconnaît que des vies comme celle de Stefan, qu’elle trouvait brillant et sympathique, ont été sacrifiées à tort.
Stefan demande aujourd’hui une réhabilitation officielle, il a déposé son dossier. S’il a lu la lettre de Mme Scholl, il n’en parle à personne et ne sait s’il lui répondra, s’il lui pardonnera.

D’autres persécutés de l’ex-RDA ont choisi la voie du pardon, c’est le cas de Caritas Fürher, fille d’un pasteur, qui n’a réussi à surmonter ce qu’elle a vécu que grâce à l’écriture. En 1998, elle a publié « Die Montagsangst » et a réalisé que le pardon était le seul moyen de s’en sortir : « maintenant c’est fini, je peux enfin être libre ».

Cette petite histoire introductive est librement inspirée de l’article de Books (mai 2020) intitulé « la RDA les a privés d’études ». Les noms de l’histoire ne sont pas les vrais noms des personnes impliquées.
Vous aussi, je vous propose d’écrire un texte avec une histoire de pardon à un moment ou à un autre. Comme on le voit dans cette histoire, le pardon peut se trouver à différents niveaux : Stefan qui peut pardonner, Mme Scholl qui peut demander pardon et éventuellement se pardonner aussi à elle-même… Je trouve que le pardon est une belle chose, un bien de l’humanité, un cadeau que l’on peut se faire à soi-même ou aux autres. C’est, je crois, la seule voie qui permette de sortir de la colère, de la haine, de la rancune, de la guerre. Bien que souvent utilisé par les religions, il appartient à tous les hommes, libre à toutes les cultures d’en user.
Il existe des histoires célèbres de pardon, notamment dans les périodes qui suivent les guerres (réconciliation franco-françaises après la deuxième guerre mondiale, Hutu et Tusis) mais aussi des drames qui n’ont connu ni pardon ni réparation et qui sont encore des plaies qui continuent de suinter...
Je pourrai continuer longtemps sur ce sujet passionnant, mais me pardonneriez-vous un si long bavardage ?
Alors c’est à vous, pas d’excuses pour ne pas écrire !

JFP

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