Destination : 337 , Commandes à l'écrivain public de la papeterie Tsubaki


Vous n’êtes pas sans connaître ma nippophilie presque maladive qui régulièrement oriente des destinations en direction du soleil levant !
Alors que je vous présentais il y a quelques mois Yoko Ogawa comme ma nouvelle muse japonaise, je dus déchanter en lisant ensuite plusieurs de ses romans et en calant tout bêtement sur le troisième ou le quatrième, empêtré dans une histoire touffue que je ne comprenais pas.
Il y a peu de temps, pris dans une frénésie d’achats de livres à la réouverture des librairies, je découvris une homonyme : Ito Ogawa. Rien à voir avec la précédente, ni dans le style ni dans les thèmes. Dans « la papeterie Tsubaki », Ito Ogawa déploie un style épuré, tout en poésie, avec des paragraphes aérés qui se succèdent étrangement sans que cela soit pour le moins dérangeant. Il faut quelques pages pour s’habituer, mais ensuite, c’est un pur moment de bonheur où un souffle zen s’allie à une grande fraîcheur, où une brise japonaise peint par touches un univers qui semble intemporel, sincère et authentique.
L’héroïne est une jeune femme qui après des années de voyages à l’étranger revient s’occuper de la papeterie Tsubaki que tenait sa grand-mère -l’Aînée- qui l’a élevée. Mais la papeterie Tsubaki est bien plus qu’une simple papeterie, c’était aussi le lieu d’exercice du métier d’écrivain public que pratiquait sa grand-mère. Toute son enfance, l’héroïne avait été formée à l’art de la calligraphie par l’Aînée, aussi finit-elle par reprendre cette charge. Ito Ogawa nous promène tout au long de ce roman dans Kamakura, ville balnéaire proche de Tokyo et nous goûtons à mille plats typiques, participons à l’écoulement des fêtes traditionnelles, religieuses, du Japon. Mais le fil conducteur, celui qui nous servira de guide pour cette destination est le métier d’écrivain public. Au Japon, tel que décrit dans ce roman, c’est un métier noble avec une éthique rigoureuse, c’est un art où la calligraphie règne. Nous caressons différents papiers, apprenons l’art de réaliser rituellement une encre pour pinceau, plongeons dans les codes de l’écriture japonaise. Notez, chose rare, que pour chaque lettre écrite par l’héroïne (et traduite en français pour nous), une reproduction calligraphiée en japonais est proposée dans le texte.
Pour ceux qui aiment physiquement écrire, tenir entre leurs mains des outils pour inscrire de leur plus belle écriture une missive, ce roman est un pur bonheur.

Sans divulgacher le roman d’Ito Ogawa, je vous propose de vous mettre dans la peau de l’héroïne, Hatoko, et de réaliser les commandes de ses clients. Je me permets quelques adaptations pour rendre possible l’exercice.

- première commande : écrire une lettre de condoléance pour une personne qui a perdu un animal de compagnie qui lui était cher. (je vous laisse choisir l’animal pour ne pas vous dévoiler celui du roman)

- deuxième commande : écrire un faire-part de divorce pour les amis et les proches, qui évoque de manière élégante les raisons de la séparation et qui -bien sûr- ne blâme aucune des parties. Ce faire-part retrace l’histoire du couple.

- troisième commande : écrire une lettre banale qui informe une autre personne que son auteur est toujours en vie. Enfin, pas si banale que cela puisque le ou la destinataire est un(e) amour d’enfance platonique et qu’il a coulé beaucoup d’eau dans les rizières…

- quatrième commande : une lettre de refus. Comment refuser de la manière la plus courtoise possible, avec magnanimité, de prêter une somme d’argent à une relation ? (Somme qui probablement s’évaporerait comme une goutte saké aux premiers vents du printemps.)

- cinquième commande : écrire une carte d’anniversaire. Mais pas à n’importe qui : l’auteur(e) écrit à sa belle-mère, avec qui il/elle ne s’entend pas bien, n’étant pas très estimé(e) par cette dernière. Il va de soi que cette lettre doit à la fois être flatteuse, et ne pas donner le sentiment qu’une rancœur s’y cache !

- sixième commande : une lettre de l’au-delà. C’est un peu brutal comme commande, dans le roman, c’est amené infiniment plus délicatement : comme une chute de sépales de cerisier lors de la fête de l’hanami. Une dame est dans une maison de retraite, en fin de vie, et elle voudrait recevoir une dernière lettre de son mari défunt, car ils ont vécu leur amour principalement de manière épistolaire.

- septième commande : une lettre de rupture. Pas une lettre de rupture amoureuse, non, plus difficile : une lettre de rupture d’amitié. Une personne qui ne veut plus être prisonnière d’une amitié devenue toxique avec une autre. Une lettre qui dit pourquoi mais qui reconnaît aussi les beaux moments passés, toujours sans blesser l’autre.

- huitième commande : une lettre de démission d’une association ou d’un club, adressée à son animateur / coach / président. (C’est différent dans le roman, mais non transposable dans notre culture, vous comprendrez si vous lisez le livre).

- Dernière commande : une lettre à une personne disparue, qui nous était chère et à qui on n’a pas pu dire tout ce que l’on voulait dire de son vivant.

Rassurez-vous, dans le roman, il y a bien d’autres écrits à découvrir ! Il serait amusant d’imaginer ces textes avant de les lire dans « la papeterie Tsubaki ». De toutes façons, c’est ce qu’on fait en tant que lecteur puisqu’on accompagne Hatoko dans sa réflexion pour chaque commande.

J’allais oublier : vous pouvez créer une dixième commande, il vous suffit de raconter qui vous la confie, pourquoi… et de l’exécuter ! Pour les autres (les neuf proposées) je vous recommande également la narration de la commande avant d’en proposer sa réalisation.

Pour clore cette destination peu banale, je vous écris cette lettre :


Chers amis,

vous qui partagez cet amour des mots,
cette passion qui consiste à déposer le fruit de nos pensées
en offrandes pour d’éventuels lecteurs qui les goûteront,
je vous souhaite de continuer longtemps encore à prendre ce plaisir,
à le communiquer autour de vous.
Cette année fut pour nous tous difficile,
et ce fut un bonheur de me recueillir près de cette oasis qu’est l’atelier Ailleurs,
de vous y retrouver pour y lire vos textes,
de vous y reconnaître dans votre style,
dans vos mots qui sont autant de beaux visages souriants.
Que l’année à venir puisse nous donner de beaux moments,
que notre esprit se libère de la pesanteur du monde,
que nos corps s’épanouissent dans un éternel printemps d’allégresse !
Comme le disent nos amis japonais,
tentons d’être conscient du ???? (mono no aware)
c’est-à-dire de « l’empathie envers les choses » ou de la « sensibilité de l’éphémère ».

Bonne année !

JFP

Interview de Ito Ogawa :
http://www.journaldujapon.com/2018/06/04/ito-ogawa-la-douceur-du-quotidien/ />

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