Destination : 157 , La route


LA LOCATION

Des photos et même des aquarelles montrant le chalet s'alignaient en jeux de cartes sur le bureau de l'agence immobilière.

« C'est tout à fait ce que je recherche pour quelques mois. » Fabien exultait. Il avait enfin trouvé la perle rare, celle qui lui permettrait en toute quiétude d'achever son roman. « Affaire conclue ! Comment s'y rend t-on ? ».

L'agent immobilier se cala dans son large fauteuil de cuir fatigué, joignit les mains sur son opulente bedaine, prit un temps infiniment long pour répondre puis, en souriant malicieusement « Ce nid de paix se mérite et mon instinct, qui ne se trompe jamais, m'assure que vous serez à la hauteur. ».

La jubilation de Fabien s'émoussait. Cela sentait le pourri de l'arnaque sous roche. C'était trop beau, trop parfait, ce vaste chalet pimpant, tutoyant une montagne fière et rude, gardienné par une forêt d'imposants et sévères résineux. Il s'était déjà imaginé accoudé à la rambarde qui courrait tout autour du chalet, un bol de café à la main, fouillant d'un regard avide le vide brumeux du petit matin. « C'est à dire ? » lança t-il agacé.

« Aucune route ne conduit à ce paradis. C'était le voeu du propriétaire, un ancien explorateur. On y accède par un chemin muletier. Ces bêtes ont le sabot sûr. Le ravitaillement est assuré chaque semaine. Tout est prévu. Le chalet peut affronter un siège ! » L'agent immobilier éclata de rire, content de son bon mot.

Fabien se détendit un peu. Il commençait à cerner l'homme : un roublard que sa crétinerie démasquait et puis troquer sa voiture contre un mulet ne lui déplaisait pas. Il avait peu de choses à emporter et il était certain que personne de son entourage ne viendrait l'importuner.

« Va pour le mulet. Je signe le contrat de location et voici votre chèque. »



Deux mulets, dont un chargé de ballots, surveillés par un adolescent en short crasseux, les pieds enfouis dans des godillots militaires, attendaient Fabien à l'ombre d'un chêne. Immédiatement les rapports furent agressifs entre les deux hommes. Fabien avait noté que l'adolescent avait craché dès qu'il l'avait vu. « Il me méprise avant même que j'ouvre la bouche. Cà promet. Mais je saurais le remettre à sa place ».



Fabien se tint bien droit, il savait que son mètre quatre vingt dix impressionnait et durcit son regard vert-de-gris. L'adolescent le détailla un sourire en coin « Vous compter monter comme çà ? » et il se remit à cracher.

« Je n'ai pas de tenue pour voyage à dos de mulet. Mon pantalon est solide sans doute un peu clair et ma chemise camarguaise a connu bien d'autres aventures. Mes chaussures de toile sont confortables et possèdent une excellente semelle ». « Mais je suis entrain de justifier ma tenue à ce jeune con » pensa vexé Fabien.

« Eh bien, je sens qu'on va se marrer ! » lâcha dédaigneusement l'adolescent. « Allez, montez ! »



Les essais infructueux de Fabien pour s'asseoir sur le mulet réjouirent les passants et les clients d'un bar-restaurant proche. Enfin, aidé vigoureusement par le jeune homme qui, simultanément expulsait crachats et injures, Fabien se retrouva, suant, meurtri dans son amour-propre, sur le dos de l'animal qui, pendant l'exercice, avait conservé calme, patience et dignité.



La modeste caravane disparue bientôt, happée gloutonnement par le paysage.



L'agent immobilier commanda une bière. Le patron du bar-restaurant lui tendit une chope embuée, en chassant quelques mouches qui s'attardaient sur les traces poisseuses maculant le dessus des tables.

« Tu crois qu'ils vont arriver jusqu'au chalet ? » L'agent immobilier se mit à rire de bon coeur en agitant sa graisse « Cà m'étonnerait. Tous les autres ont fini à l'hosto. »

FIN

EVELYNE W