Destination : 164 , Toi le sètois


Le Ravi



Auprès de son arbre, celui de son enfance, il était heureux.

Simple d'esprit, voir même ensorcelé disait-on, il était toujours joyeux.



Pourtant, un jour de deuil, il décida de passer le pont.

Il voulait, sans vraiment savoir pourquoi tenter l'aventure.

L'aventure ne signifiait rien pour lui, si ce n'était fuir une terre désormais sans amour.

L'amour de ceux qui l'avaient accueilli, enfant, lui le maigre "ravi", moqué de tous.



Auprès de son arbre, celui de son enfance, il n'était jamais seul.

Là, il pouvait observer, sentir, toucher et même reconnaitre l'olivier, le tilleul, la lavande et le thym.



Écouter la huppe rousse et la mésange bleue et les vautours de Rémuzat.

Les chênes et les buis étaient ses seuls amis. Leur feuillage bruissait à chacun de ses mots : ils l'écoutaient; ils étaient bien les seuls.

Le long du Toulourenc, martres et fouines venaient jusqu'à lui; qui donc aurait pu craindre un "ravi" ?



Alors un jour de tourmente, un jour où là haut, la neige commençait à blanchir le Ventoux, il partit.

Son baluchon était léger; son cœur lourd.

Il voulait se fondre, disparaitre, et seule "la ville" pouvait répondre à ses vœux.

La ville, la grande, celle dont on disait qu'elle avait une tour bien plus haute que la colline de Mirabel.

De sa ville à lui, il ne connaissait que le marché ou chantaient les accents, où dansaient les couleurs et enivraient les parfums; la place du village, où tout le monde se croisait et s'interpellait autour de la fontaine glougloutante, ou bien aussi sur l'aire, où fasciné, il regardait, sans bien comprendre, les boules de pétanque.



Alors, l'âme en détresse, il étreignit son arbre; enjambât le pont romain, et marcha des jours vers le nord.

Qui aurait pu imaginer que le "ravi" au sourire immuable et à la joie trop souvent dérangeante, pouvait éprouver du chagrin.

Un chagrin, qui, comme une force magique le faisait avancer, sans voir ni penser.

Un jour enfin, il arriva sur les berges d'un fleuve dont il ne vit que les ponts.

Un vent furibond glaça son visage; un vent semblable à celui de chez lui, qui rebroussait les bois et détroussait les toits.

C'était la première fois qu'il voyait une passerelle, où les jean-foutre et les gens probes médisaient du vent fripon.

Telle une évidence, telle une délivrance, sa vie s'arrêtait là.

Alors, du Pont des Arts, le "ravi" sauta.

Martine V.