Destination : 172 , au long court


Riu Garona

Au cœur de la montagne, je jaillis en crachant du ventre de ma mère, l’âpre et fière Maladeta, toute ruisselante encore des eaux glaciaires de mon père qui m’ont donné la vie, je ne suis encore qu’une discrète source cristalline ;

Murmure imperceptible, je m’engouffre dans la terre et disparais sous une souche encore blanche de neige - c’est tout juste la fin de l’hiver - avant de rejaillir quelques centaines de mètres plus bas, entre deux rochers recouverts de mousse ;

Ma fraicheur minérale éclabousse les galets ronds alors enhardie, je m’élance et bientôt je rebondis en cascade pour dévaler les flancs des pentes pyrénéennes, d’espagnole je deviens française mais cela ne change en rien le cours de mon existence ;

Mon roulement se fait tonnerre, et de ruisseau je deviens torrent, dont les rapides impétueux abritent mes amies les truites, sirènes aux reflets d’argent, leurs ondulations gracieuses font frissonner ma surface ;

Je traverse en riant les villages aux toits d’ardoises bleues et les pâturages de la vallée, j’entends les tintements des cloches mais leurs carillons ne réussissent pas à arrêter ma course, je suis emportée vers un destin que je devine sans l’imaginer vraiment ;



Je rejoins enfin un paysage moins escarpé, moins accidenté et le tumulte se calme peu à peu, je creuse mon lit en profondeur, je me charge de terre et de sédiments qui me font perdre ma transparence en me donnant une teinte brune ;

Je traverse une ville merveilleuse et j’admire le reflet des briques roses sur mes eaux de surface, il me semble même entendre résonner la voix roulante et rocailleuse de son troubadour, hélas il n’est plus là pour chanter mon pays ;

Je gagne en envergure, je tempère mon enthousiasme juvénile et adopte une allure plus calme mais attention, il faut se méfier de l’eau qui dort, je reste sauvage et indomptable et lorsque je suis en colère je sors de mon lit et je peux tout dévaster sur mon passage ;

Heureusement, je suis le plus souvent tranquille et généreuse avec mes enfants et tous ceux qui vivent au bord de mes méandres aquatiques, laissant même les plus audacieux venir de temps à autre jouer avec moi ;



Mon périple se poursuit, au fil de mes courbes j’ai à maintes reprises ouvert mon lit pour accueillir mes quarante-deux affluents qui se jettent à moi comme dans les bras d’une mère, je les nourris et ils me nourrissent, ils sont ma famille et ma richesse;

Après avoir parcouru plus de cinq cent kilomètres je rejoins mon âme sœur, qui porte dans ses eaux toute l’histoire des Hommes, nous nous unissons dans une étreinte formidable, pensez-donc, le plus grand estuaire d’Europe, c’est nous ;

Bientôt la fin du voyage pour moi, la pyrénéenne dont le sang est espagnol mais le cœur français, celle que l’on surnomme « la caillouteuse », je sens des effluves salées se mêler à mes eaux douces et je perçois les premiers frissons des marées ;

Ca y est j’y suis, j’arrive : j’ai le souffle coupé par cette immensité aux reflets bleus-verts, l’océan vertigineux s’ouvre devant moi -sous un ciel d’orage c’est là qu’il est le plus beau- alors, dans un dernier élan, je plonge dans les vagues …

Myriam