Destination : 174 , Ailleurs fait son cinéma


SACCAGES ET RAVISSEMENTS

Une goutte de sueur, lasse de se suspendre à un cheveux d'homme, se laisser tomber entre les seins d'une femme.

Elle glisse lentement, voluptueusement vers d'autres gouttes de sueur, celles de la femme.

Les sueurs de l'homme et de la femme forment de minuscules réseaux brillants. Certains cheminent vers le point sombre du nombril de la femme, d'autres suivent amoureusement la colonne vertébrale de l'homme.

Il devrait y avoir à cet instant précis la vision d'une caresse de ces peaux baignées par l'énergie du plaisir.



Soudain l'image en noir et blanc s'affole, gigote, zigzague, rapetisse, se décolore jusqu'à disparaître de l'écran géant qui l'accueillait.

L'écran est enfoncé maladroitement dans une terre de sable et de pierres d'un jaune intense. Ce jaune est l'unique couleur du lieu vidé de toute végétation.

Un ciel gris oppressant écrase l'immensité du désert.



Un peu plus loin, un trou se creuse en siphon dans le sable. Quelque chose tente de s'extraire. Les premières pattes fines têtus, vaillantes, s'accrochant à ce qui peut résister à la fluidité du sol, surgissent.

Puis, une grosse tête prolongeant une épaisse carapace, munie de deux yeux effrayés apparait.

Une sorte de scarabée gris comme le ciel, qu'il découvre, se hisse avec peine de son royaume, de sa cachette.



L'image est revenue sur l'écran, nette, précise. L'insecte peut suivre le parcours des gouttes de sueurs de l'homme et de la femme.

Pris d'une étrange frénésie, l'insecte se met à tourner sur lui même de plus en plus vite. Lentement, dans le vertige de ce mouvement, sa carapace se fendille et de fines ailes naissent en bruissant.



Tel un aviateur débutant, il tente de décoller. Retombe lourdement, puis toujours excité, s'élève. Enfin, il vole vers l'écran, plein de folie et d'espoir, et délicatement, se pose sur la goutte de sueur qui vient de tomber, de nouveau, du cheveu de l'homme.

Alors, frottant ses nouvelles ailes dentelle contre son corps massif, minéral, il émet un son. Une étrange mélodie qui provoque l'apparition de millions de trous bruissant dans le désert jaune.



Enfin, tout se tait.



L'insecte tombe de l'écran comme foudroyé. Sa couleur change. C'est la couleur de l'assèchement, de la momification, bientôt ce sera celle de la fossilisation.



Le désert jaune a retrouvé sa planitude.



Journaliste 1 : Il a dit quoi à part cela le réalisateur ?

Journaliste 2 : C'est une métaphore !

Journaliste 1 : Commode pour mon papier.



Fin

Evelyne W