Destination : 149 , Le retour


Billet de non retour



On lui avait vendu un billet aller simple, lui promettant qu’elle ne serait déçue ni du voyage ni de son nouveau lieu de résidence.

Elle, naïve, avait gobé tout ce qu’on lui avait dit sans se poser de questions. Il faut dire que le mensonge lui était totalement étranger. L’idée même du mensonge ne s’était jamais infiltrée dans les méandres de son cerveau. Elle avait donc amorcé son périple avec une certaine sérénité. Mais, au fil des heures, elle avait peu à peu déchanté… Elle avait commencé à se poser des questions, lorsqu’au beau milieu d’un rêve merveilleux, elle avait été réveillée par une étrange sensation : une tension venait se resserrer autour d’elle, comme une grosse bouée qui viendrait l’emprisonner. Puis cette drôle de sensation s’était éloignée pour reparaître quelques instants plus tard, plus insistante. Et à chaque fois qu’elle revenait, c’était de plus en plus désagréable ! C’était comme une énorme vague qui, inéluctablement, ressurgissait, toujours plus forte.

Ensuite elle avait entendu des cris étouffés, des portes claquer, des bip-bip frénétiques. C’est à cet instant qu’elle avait découvert la peur. Cet inconfortable ressenti qui lui donnait mal au ventre, lui déclenchait une montée en température, et faisait trembler son petit corps.

Mais pourquoi avait-elle accepté ce voyage ? Elle ne savait même pas vraiment où il la conduisait. Lorsqu’avant de partir elle avait demandé un aller-retour, on lui avait ri au nez en lui expliquant que pour cette destination il n'existait pas de billet de retour. Alors elle avait fait confiance, et voilà qu’elle commençait à le regretter… Trop tard ! elle ne pouvait plus reculer…

Après plusieurs heures de cet inconfortable voyage qui semblait ne pas vouloir se terminer elle sentit soudain, au milieu d’une agitation extrême, une pression d’une violence inouïe. Evitant de céder à la panique, elle tenta de se faire la plus souple possible. Son petit corps se déforma en tous sens, et elle s’engouffra dans une sorte de toboggan, vraiment trop étroit pour elle. Elle fut même obligée de tourner les épaules, dans un sens, dans l’autre, pour de pas rester coincée là !

Ensuite un phénomène énorme se produisit : une sorte de grand vent souffla et s’ infiltra dans ses poumons, lui causant une immense douleur qu’elle signifia par un cri long et puissant.

Bienvenue dans la vie, Mademoiselle !

Longtemps elle regretta son pays d’origine, lorsqu’ elle pouvait évoluer dans l’eau douce. Elle aimait tant jouer avec ses mains, sucer son pouce, faire ce que bon lui semblait. Jamais faim, jamais soif, jamais envie de faire pipi, tout se faisait naturellement. Tout était si léger, tout n’était que bulle. Pour se retourner, il lui suffisait de donner un petit coup de pied sur la douce et épaisse paroi qui constituait le mur de sa chambre, et hop ! elle se retrouvait tête en bas. Tout mouvement était si simple, tout n’était qu’apesanteur…

Elle finit par s’habituer à son nouveau lieu d’habitation. Il faut dire que ses parents étaient aux petits soins pour elle, et que ça n’était pas désagréable de se faire câliner ainsi !



Bien des années plus tard, elle fut championne de plongée !

griotte