Destination : 149 , Le retour


RETROUVAILLES

Je suis assise sur un des bancs inconfortables de la gare. Mon billet de train somnole dans la poche de mon manteau. Je ne l'ai pas encore enfourné dans la gueule triste de la machine à valider. Je suis arrivée trop tôt. J'avais sans doute peur. Mais peur de quoi idiote ? De rater le train ? Tu es sans doute très pressée de t'installer dans ce train, de le sentir vibrer, s'élancer et de voir disparaître peu à peu, dans le rectangle de la vitre brouillé par la saleté, le décor minable de cette gare ?

Très pressée d'arriver, n'est-ce pas ?



Ils seront tous là à t'attendre. Ils te l'on écrit. Le retour de la fille prodigue : un événement à ne surtout pas manquer ! On s'ennuie tellement à la campagne.

Tu le sais bien, il y aura la mère avec un mouchoir dans la main. Elle pleurera. Elle pleure sans arrêt, c'est sa façon d'exister. Le père, en retrait, le visage fermé, le regard bleu froid, bleu statufiant, bleu décourageant la moindre velléité d'affection. La soeur et le frère qui se demanderont ce qu'ils foutent là, mais qui seront présents au nom de la famille, parce que la famille c'est sacrée malgré tout, malgré toutes les petites vilenies, les rancoeurs à demi-évoquées, les haines tues. L'ami d'enfance aussi, incroyable ! avec une tête de vieux chien patient et sans doute un modeste bouquet de fleurs déjà flétries. Ah ! Ton chien est mort et enterré au fond du jardin. On reconnaît l'endroit cela fait une bosse recouverte d'herbes folles que l'on peut distinguer derrière les alignements de légumes du potager. Le potager a été épargné parce que ça occupe. En revanche la maison s'est agrandie : une véranda verrouillée, désertée à cause du mauvais temps, tu comprends ... Un large garage, une sorte de ventre cubique volumineux pouvant avaler d'un coup trois voitures. Des chambres à la place du grenier. Bien entendu « Ta » chambre t'attend. Ils n'ont pas osé changer le papier, ils préfèrent que tu choisisses le papier peint. « Ta » chambre ! Tu t'en souviens ? La solitude, la désespérance, l'enfermement. Dis-tu tu souviens combien tu te rétrécissais dans cette chambre ? Les voisins seront là aussi. Ce sont des nouveaux, ils ne te connaissent pas mais ils seront là, juste par amitié, ce sont de bons voisins. Tu verras le village n'a presque pas changé. C'est certain tu reconnaîtras tout, on peut même t'assurer que ce sera comme si tu n'étais jamais partie, en pleine nuit, voici bien des années, avec un garçon louche que personne n'aimait, sauf toi. Il t'a abandonnée. On ne dira pas que c'est bien fait mais c'est une bonne leçon. A présent tu as compris que tu dois écouter les avis, surtout ceux de ta famille. C'est vraiment bien que tu reviennes. De nouveau tous ensemble, collés, agglutinés jusqu'à la mort.



Je suis restée assise sur le banc inconfortable de la gare. Le train n'est plus qu'un point au bout des rails. J'ai toujours mon billet au fond de la poche de mon manteau. Je demanderai son remboursement. Que diront-ils ? Que penseront-ils ? Cela n'a plus aucune importance.



L'avenir m'attend juste à la sortie de la gare.



FIN

EVELYNE W