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Et Charlélie dit

Le disque restait dans ma main. Je le tournais et retournais. Comme quoi, entreprendre ce rangement de ma CDthèque en ce dimanche d'hiver était une riche idée. "Patchwork" : ce recueil haut en couleurs des meilleurs morceaux de Charlélie Couture. Combien d'années l'avais-je écouté quasi quotidiennement avant qu'il rejoigne peu à peu le bas de la pile ?



Un titre attire plus que tous les autres mes yeux. Le dernier de la liste, "La Ballade du mois d'août 75". La question ne se pose même pas, mes gestes s'enchaînent, et la voix de Charlélie retentit : "On a loué une maison, pas très loin d'Avignon..."



Mes yeux se ferment et, comme à chaque fois que j'ai écouté cette chanson, mes souvenirs se superposent à son texte. C'est alors la ballade de mon mois d'août 1975 qui se déroule dans mes pensées.



1975, l'année de mes 20 ans, où je n'étais plus tout à fait "le petit Pierrot" pour les voisins de ma grand-mère. Même si le surnom parfois leur échappait encore, dans un sourire attendri.



Mémé m'avait prévenu. Cette année je ne serai pas le seul pensionnaire chez elle. Elle avait en effet considéré qu'elle ne pouvait décemment pas ne pas proposer son aide à son ancienne patronne de Grenoble. Cette dernière ne pouvait pas fermer sa boutique à la haute saison et avait à sa charge, depuis le tragique accident qui avait coûté la vie à sa sœur et son beau-frère, sa nièce, Laura. Laura avait 18 ans, le drame collé aux baskets, et un petit séjour à la mer, loin des souvenirs familiaux et de Grenoble, ne pourrait que lui faire du bien.



Laura. Son air sombre et boudeur. Ses éclats de rire soudains quand elle me proposait avec provocation une partie de basket et dribblait tellement mieux que moi. Ses courses sur la plage avec Choupette, sa fidèle chienne, qui la suivait comme son ombre. Laura, si petite fille quand elle avalait ses tartines de confiture le matin, disposant ses couverts le long des motifs de la toile cirée de Mémé. Et si femme déjà, quand elle sortait de la mer et étendait avec impudeur et délectation son corps au soleil.



Laura, ou mes trois semaines d'amour fou. Peut-on aimer mieux qu'à 20 ans ? Peut-on désirer quelqu'un plus fort qu'une jeune fille que l'on imagine endormie dans la chambre voisine ? Peut-on souffrir plus qu'en la voyant, se croyant seule au fond du jardin, embrasser chaque centimètre carré de la carte postale qui vient d'arriver pour elle de Grenoble, signée par un certain Philippe, qui incarnera toute ma vie l'essence même du mot "rival" ?



Quelle douceur malgré tout quand ces images dansent dans ma mémoire. Quelle exquise amertume, qui me fait aujourd'hui sourire et chantonner, pour conclure avec Charlélie : "Mais il ne reste jamais rien de ce qui est vécu, quelques grains oxydés sur de la paraffine, et des souvenirs idiots, mais qui donnent un peu de lumière, les jours de pluie".

Christelle D