Destination : 236 , Full Sentimental


I'm a fool to want you





Lentement, consciencieusement, les pelletées de terre cognaient le cercueil. J’étais étonné par le nombre de personnes qui étaient venues te dire adieu. Mais c’était sans doute bien juste, tu étais si doué pour la joie et l’enthousiasme que tu avais dû faire des heureux.



J’entends encore ton expression favorite : « Je suis fou ! » de ceci de cela. Tu vivais dans l’exaltation, dans l’exubérance au point d’en devenir ridicule à mes yeux. Forcément moi, le méfiant, le soupçonneux, le pessimiste, le taciturne je ne risquais pas de devenir littéralement, positivement, irrémédiablement fou d’un écrivain, d’un peintre, d’un morceau musique, d’un plat ou de tant d’autres choses que j’oublie.



Nous nous étions connus à l’école primaire. Contrairement à toi tu étais mon unique ami et j’avais bien du mérite car tu me tapais prodigieusement sur les nerfs. Toujours content même lorsque tu te récoltais un zéro « Je ne peux que faire mieux la prochaine fois ! » Toujours prêt à rire aux blagues, même mauvaises, des autres élèves « Ce ne sont pas de méchants bougres, ils sont un peu bêtes, ça leur passera ».

Je ne comprenais pas une telle légèreté, une telle mansuétude, mais ton attitude me fascinait.

Très vite j’avais choisi mon camp, celui des bûcheurs, de ceux qui réussissent par la volonté et la ténacité alors que chez toi tout était prétexte au jeu et à l’insouciance.



Je me souviens que tu m’appelais « Vieux » « Vieux si tu abandonnais cette mine triste et renfrognée, je suis certain que tu pourrais avoir du succès auprès des filles. »

D’abord j’étais plus jeune que lui mais il faut reconnaître que ma pâleur blafarde et ma maigreur me donnaient une tête désolante de petit vieux et cela depuis la prime enfance. Tandis-que lui, avec son visage poupin, ses joues roses et ses lèvres charnues attirait les baisers.

Je me fichais bien des filles enfin je m’en persuadais. Je n’avais qu’un but être le premier de la classe, réussir, réussir dans la vie. Cela s’était réalisé. J’étais devenu le patron craint et admiré d’une entreprise florissante.

Toi, mon pauvre, tu avais vécu chichement, médiocrement mais toujours joyeusement. Si je t’avais proposé un bon poste dans mon entreprise l’aurais-tu accepté ?



Un jour tu m’as dit « Vieux je suis littéralement fou d’une fille » j’ai haussé les épaules. Nous étions devenus des hommes. Tu me l’as présentée. Elle était magnifique, solaire. Pour la première fois de ma vie, je t’ai jalousé. A voir la façon dont elle répondait à tes baisers, avec quel amour elle te regardait, mon cœur se rapetissait douloureusement. Comme un coup de grâce, elle m’a dit « Votre copain sait me faire rire ».

Je n’ai pas assisté à votre mariage. Cela t’a peiné et tu t’es éloigné.



Elle se tient bien droite dans son tailleur noir. Son visage est fatigué par la douleur mais elle adresse un gentil sourire à chacun venu la réconforter. Je ne sais pas si j’aurais le courage de la saluer. Il y a encore quelque chose qui se brise en moi lorsque je la regarde.

J’entends ta voix et souris « Vieux ne serais-tu pas irrémédiablement fou de ma femme ? »

EVELYNE W