Destination : 19 , De la suite dans les idées


Comment l'accessoire devient l'essentiel

Le chapeau



Je dis chapeau bas devant cette élégante jeune femme qui passait tous les jours sous mes fenêtres, coiffée d'un coquin petit bibi, et toujours tirée à quatre épingles. « Celle-là, ce sera la mienne, me disais-je sans savoir comment j'allais l'aborder ». Je vous raconte çà, mes petits, c'était en 1954 dans une toute petite ville de province et je n'avais pas envie de faire l'objet de tous les ragots du village.



L'écharpe



Mais voilà, je portais mon cour en écharpe et mes parents, chez qui j'étais en permission, avant de retourner à l'armée, se rendirent très vite compte que j'étais en plein émoi amoureux. Je confondais au revoir et bonjour, servais des bâtards au lieu de baguettes et fus vite la risée de la clientèle. Elle était à croquer avec son tailleur écossais rouge et noir et ses bas à couture bien droite !



Les gants



J'ignorais son nom, son adresse. Elle n'entrait jamais dans la boulangerie lorsque j'étais derrière le comptoir. Mes copains ne la connaissaient pas. Je devais passer à l'action sans l'effrayer, bref y mettre des gants pour ne pas la choquer. Vous savez, les enfants, les filles de cette époque, c'étaient de vraies biches effarouchées !



Le sac à main



Un matin, n'y tenant plus, je sortis sur le seuil quelques minutes avant l'heure de son passage, un sachet à la main.



« Bonjour, je suis sûr que vous mangez comme un petit oiseau. Prenez, je vous l'offre », lui dis-je. Elle sourit, me répondit « Vous avez vu juste » et ouvrit son grand sac à main où s'enfourna le sachet au milieu des porte-monnaie, rouge-à-lèvres, poudrier, onglier et autres accessoires féminins. L'odeur de croissant chaud se mêlait à des parfums qui me donnaient le vertige. Je l'accompagnais jusqu'à la gare sans oser aller jusqu'au train et sautillait le long du trottoir à mon retour.



Les chaussures



Plusieurs jours, je recommençais mon manège en changeant de viennoiserie : brioche, pain au lait, au chocolat, aux raisins. J'avais donné dans le mille sans le savoir. Elle ne prenait pas le temps de s'asseoir devant un petit déjeuner le matin, ce qui ne l'empêchait pas d'être gourmande. Et mince quand même, et fine sur ses escarpins vernis. Un vrai chou ! Ma permission tirait à sa fin sans que j'aie tenté autre chose que de bavarder gentiment avec elle, moments privilégiés durant lesquels mon cour battait la chamade et mes joues s'enflammaient, surtout lorsqu'elle posait son doux regard bleu sur moi. Enfin, j'eus l'idée de me cacher l'après-midi à la gare pour voir à quelle heure elle revenait de la grand-ville, car jamais je ne l'apercevais le soir. Je la vis s'engager dans la rue de la République, s'arrêter devant l'école, prendre un petit garçon par la main et poursuivre son chemin.



Une maman, j'étais amoureux d'une maman ! Sur l'instant, le choc fut rude. Je réfléchis toute une nuit. Au petit matin, j'étais décidé, j'avais trouvé chaussure à mon pied, je n'allais pas la laisser s'échapper. Je l'ai prise par la main, l'ai serrée dans mes bras sur le quai, l'ai attendue le soir et toujours. C'était votre Mamie, les enfants, et le petit garçon, votre Tonton Patrick.



Danièle