Destination : 40 , Les enfants du capitaine Verne


Le testament d'une excentrique

Le testament d'une exentrique


Bientôt 8 h., Germaine ajuste son tablier blanc, soulève le plateau sur
lequel elle a mis un bol de lait tiède et une assiette de croquettes au
poulet. D'un pas alerte, elle se dirige vers le grand escalier qui mène à
l'étage, répondant comme chaque jour au sourire de la Marquise de
Truquembois, dont un grand portrait orne le hall.

Adélaïde de Truquembois, feue châtelaine des lieux, était un personnage
original. Unique descendante d'une famille annoblie au temps des Croisades,
elle ne s'était jamais mariée mais n'avait pas vécue en recluse pour autant.
Bien au contraire, son charme et son goût pour les plaisirs lui valurent une
cour fournie d'amants et d'amis.

De plus, elle avait une passion quasi-amoureuse pour les animaux et
particulièrement pour les chats, ce qui lui valut le surnom de "minouchette"
dont elle était fière. A la fin de sa vie, les amants avaient disparus,
quant aux amis ils se faisaient rares, il ne lui restait plus qu'un matou
noir appelé Beauzébut, devenu le maître incontesté du château. La présence
d'un chat noir et la dévotion qu'elle lui portait lui valurent bien les
foudres du curé, ainsi que celles de bigotes, "pensez-vous, un chat noir, un
suppôt de satan", mais elle s'en moquait. A quoi bon leur expliquer que
Beauzébut, loin d'être une incarnation du mal, était un merveilleux
compagnon !

"Sentant venir sa mort prochaine" (tiens, j'ai déjà lu ça !), Adélaïde
convoqua son notaire afin de prendre les dispositions nécessaires pour
l'avenir de son chat. Il fut décidé que Germaine vivrait au château, à seule
condition de veiller au bien-être du chat et à son confort. Une inspection
serait effectuée chaque année par le notaire qui pour s'assurer du respect
des dernières volontés de la défunte, viendrait vérifier la présence et la
bonne santé de l'animal.

Dans le cas où Germaine faillirait à la tâche, elle devrait quitter les
lieux sans aucune indeminté et le château et le chat seraient confiés à
l'Etat, à charge pour lui d'assurer les mêmes soins au matou.

C'est ainsi que Germaine remplissait sa mission avec le même dévouement que
celui qu'elle avait pour Adélaïde et il faut bien reconnaître que le matou
n'était pas déplaisant. Et pour elle, il était plus agréable de vivre dans
le château plutôt qu'au 8ème étage d'une tour HLM.

Ce matin-là, pénétrant dans la pièce où dormait Beauzébut, Germaine se dit
que quelque chose n'allait pas. Le silence était total alors que d'habitude,
elle était accueillie par de puissants ron-rons et l'animal venait se
frotter à sa jambe. Là, ... rien ! S'approchant doucement, elle vit le chat
roulé en boule, le caressa et... effrayée, se rendit compte que la fourrure
était glacée, le corps raide.

- Mon Dieu !... Il est mort ! Mais qu'est-ce que je vais dire au zigue qui
se pointe demain, justement ? Y a pas, il faut que je trouve une solution...
après tout, je ne l'ai pas tué ce chat ! Bon, ne panique pas Germaine...
réfléchis plutôt...

1) - tu cherches un autre chat qui lui ressemble... ça ne manque pas les
chats dans le coin ! Oui mais... si ça ne marchait pas....

2) - tiens, j'y pense ! ... Madame avait enregistré les miaous du bestiau,
elle trouvait ça "mélodieux"... les goûts et les couleurs ?... je pourrais
coller le magnéto à la cave que je fermerai à clé et le bonhomme entendrait
les miaous, je lui dirai que le chat a fait une grosse bêtise et qu'il est
puni.... non non, c'est trop gros, ça ne marchera jamais...

3) - peut-être que si je disais que je l'ai envoyé en cure pour soigner ces
rhumatismes... c'est vrai, il était vieux ce chat, c'est bien pour ça qu'il
est mort... je dirais qu'il n'est pas encore rentré, oui mais si l'autre
insiste pour savoir où il est... non, pas bonne cette idée...

4) - oh et puis pourquoi je me casse la tête ?... j'ai qu'à l'installer près
de la piscine, je lui mets un châpeau et des lunettes noires... et je dis
que Monsieur se repose et ne veut pas être dérangé... huuummm... pas sûr que
j'arrive à convaincre...

5) - maintenant, y a bien la solution du purin, ben oui, "aux grands maux,
les grands remèdes", je le trempe dedans et je le colle dans la baignoire
remplie d'eau, quand l'autre vient, je lui dit que monsieur prend son bain,
il verrra un chat mouillé et qui pue, avec un peu de chance, il n'ira pas
regarder de trop près...

6) - mais au fait, pourquoi le purin ?... je ramasse un chat, je lui vide
dessus un pot de peinture et quand l'autre arrive, je prends un air fâché en
disant: "ah vous arrivez bien ! Regardez les bêtises que fait ce chat ?
Attention, ne vous approchez pas, vous allez vous tâcher ?"... oui, voilà
une idée qu'elle est pas bête... mais non, je peux pas faire ça çà une
pauvre bête...

7) - eh, mais oui... pourquoi j'y ai pas pensé plus tôt ?... le
kidnapping... je m'envoie une demande de rançon menaçante "n'appelez surtout
pas la police, etc..." je montre la lettre au type, il se procure les sous
et j'achète un chat identique avec...et je garde le reste !!! ... c'est
quand même un peu gonfflé...

8) - sinon... reste plus que ça... je ramasse tous les chats que je peux
trouver, je les lâche dans le salon après avoir mis des assiettes de
croquettes et des bols de lait un peu partout, et je dis que Monsieur a
invité des copains pour faire la fête..


Le lendemain, lorsque le notaire pénêtre dans le salon, il est accueilli par
un concert de miaous-miaous, il regarde médusé des matous qui se vautrent
sur les canapés et... la mine réjouit, se tourne vers une Germaine
pâlichonne... et muette !

- C'est merveilleux, Madame Germaine, vous êtes allée au-devant des voeux de
ma cliente... je venais vous dire que dans le testament, figurait un
codicille que je n'avais pas remarqué... il y est stipulé : "... si
Germaine, en sus de Beauzébut, accepte la présence d'autres matous dans le
château et qu'elle leur prodigue les mêmes bons soins, j'en fait mon
héritière !". Eh bien, Madame Germaine, permettez-moi de vous féliciter et
de saluer en vous la nouvelle châtelaine !

Après avoir raccompagné son visiteur sur le pas de la porte, Germaine, se
grattant énergiquement le bras, se dit :

- Ben ça alors, la vie de château c'est plus ce que c'était ! Va falloir que
je me procure des produits anti-puces, plutôt que de l'encaustique !

Mady