Destination : 50 , A moitié...


Les non-dits

« Pourquoi vivre à deux si c'est pour vivre a moitié ? »[*]… Cette interrogation résume très bien en quelques mots le malaise de tant de couples. Née sous le signe du Gémeaux, je suis sensée avoir une double personnalité. Même si ce n’est pas tout à fait vrai ni tout à fait faux, comment dans ce cas faire les choses à moitié ?

Version au féminin :

Ce matin, le réveil a sonné comme chaque jour à 6h45. Comme d’habitude, il m’a bousculée et je ne me suis pas réveillée. Il a insisté. J’ai ouvert les yeux. Dommage, je faisais un beau rêve. Invariablement, il me pose toujours la même question :
- Tu as bien dormi ?
Je peux lui dire n’importe quoi, il ne prête pas la moindre attention à ma réponse. Ce matin, je lui ai dit que j’avais fait un aller-retour sur la Lune durant la nuit. Il n’a pas réagi, comme s’il ne m’avait pas entendue. Quelques instants plus tard, je le retrouve devant « notre » petit-déjeuner. Il boit son thé en écoutant les infos sur RTL, tartine trois craquottes, regarde dans le vide et ne me parle pas. Il ne me voit pas. Je suis sûre qu’il ne sait même pas si je prends un café ou un jus de navets frais ou bien encore un Rhum Coca. Je pourrais mettre une robe de soirée ou la tenue de Lara Croft il ne verrait aucune différence. Nos seuls liens : Pirouette, notre bichonne frisée, qui est assise sur une chaise entre nous deux, et la plaquette de beurre qui passe alternativement d’un côté de la table à l’autre. Paul a eu 50 ans hier. Je n’avais pas envie de fêter l’évènement. De toutes façons il n’a jamais aimé que l’on fête quoique ce soit. Et quand j’ai eu 50 ans au mois de Juin, nous n’avons rien fait non plus. Alors ? Cela fait 21 ans que nous sommes mariés. Et ce qui avait commencé comme un conte de fées s’est assez rapidement transformé en banale union, faite d’habitudes, sans odeur ni saveur. Alors je reste avec lui, même si je me dis que la « solitude à deux » est pire que la solitude tout seul. Mais je n’ai pas le courage de partir… Je me résigne et continue à vivre à moitié cette vie à deux.
Il vient de partir à son travail. Je finis de me préparer et pars faire quelques courses pour la maison.
Ensuite, il faudra nettoyer, ranger, repasser… Ah c’est vrai j’ai oublié dans notre beau tableau. Nous n’avons pas fait les choses à moitié. Tant qu’à être un couple en péril, il valait mieux ne pas avoir d’enfant. Mais on n’en parle (plus) jamais. Pour oublier, j’écris… mais jamais il ne lit…
Mais il faut que j’arrête, il arrive. Ce soir, j’ai préparé un gratin de pâtes…
La vie continue de dérouler son fil, imperturbable…


Version au masculin :

Ce matin, le réveil a sonné comme chaque jour à 6h45. Je l’ai regardée. Je l’ai trouvée belle dans son sommeil. Je lui ai caressé la joue, elle ne s’est pas réveillée. Ma main a effleuré sa bouche. Elle a ouvert les yeux. Ils sont toujours aussi beaux ! Je lui ai demandé :
- Tu as bien dormi ?
Ce matin, elle devait être en forme, elle m’a répondu qu’elle avait fait un aller-retour sur la Lune durant la nuit. Cela m’a fait sourire, mais je ne lui ai rien dit. Quand elle est venue me rejoindre pour le petit-déjeuner, je buvais mon thé en écoutant les infos sur RTL. J’ai beurré trois craquottes. Je voulais lui en donner une. Mais elle est arrivée, superbe dans sa robe vert anis. Je l’ai trouvée si belle que je n’en ai oublié de lui proposer ma craquotte. J’ai continué. Discrètement je la regardais siroter délicatement son café. Entre nous est assise Pirouette. Elle lui parle et m’ignore. La seule chose qu’elle me demande c’est de lui passer le beurre. Hier, j’ai eu 50 ans. Elle m’a à peine souhaité mon anniversaire. J’aurais aimé l’amener au restaurant pour fêter l’évènement. Je ne lui ai pas proposé car, pour ses 50 ans au mois de Juin, je lui avais préparé une surprise. J’avais réservé un week-end dans un relais château. Je voulais qu’on retrouve un peu la passion du début. Il a fallu que j’annule tout parce qu’elle était très fatiguée. Cela fait maintenant 21 ans que nous sommes mariés. Et ce qui avait commencé comme un conte de fées s’est assez rapidement transformé en un quotidien un peu usant. Nous restons ensemble et parfois j’ai peur qu’elle s’en aille. Je la vois réfléchir et sans doute souffrir. Je ne sais pas quoi lui dire ni quoi faire pour qu’elle se sente plus heureuse.
Je pars travailler. Elle aussi a sa journée bien remplie. Elle va faire les courses pour la maison qu’elle va nettoyer. Ensuite, elle rangera et repassera. Je sais que cet enfant que nous n’avons pas eu lui manque cruellement. Maintenant il est trop tard et cela fait beaucoup trop mal d’en parler. Heureusement, elle aime écrire des tas d’histoires. Sa passion lui donne de l’énergie. Mais je ne veux pas lire, j’ai peur de découvrir ce qu’elle pense et ressent vraiment…
J’arrive à la maison. Hum ! Ça sent bon le gratin de pâtes…
Et la vie continue de dérouler son fil, imperturbable…



[*] Extrait de la chanson « Ego trip » (« Starmania »)

mimi