Destination : 135 , Mise en abîme


Et la sonnerie du téléphone retentit

On sonne à la porte. Sept heures ! Ce n'est tout de même pas pour relever les compteurs ! Je suis en robe de chambre, pas rasé, hirsute. Je déteste ouvrir ma porte lorsque je suis dans cet état !

« Fred ! Mon pauvre vieux ! Quelle tête ! »

« Dis peux-tu m'offrir un de tes cafés à réveiller un mort ? Je sors d'un cauchemar.».



Je l'aide à s'asseoir et vais chercher un bol. Le café goutte lentement dans le pot transparent et embaume l'appartement. Soudain Fred, l'air hagard, m'attrape le bras :

« Et si j'étais en train de rêver que je te demande de m'offrir un de tes cafés à réveiller un mort car je sors d'un cauchemar ? »

J'éclate de rire et le pince méchamment. Il pousse un petit cri.

« Tu as eu mal ? Bravo ! Une douleur rêvée ne fait pas souffrir. Allez raconte ! » et je verse le café fumant.



« Voilà, je rêvais que je me réveillais à cause de la sonnerie du téléphone. Tout d'abord, j'étais content. J'avais hâte de décrocher. Mais plus je me rapprochais du téléphone et plus l'angoisse enfonçait son poing dans ma poitrine. La sonnerie persistante envahissait douloureusement ma tête. Mes jambes refusaient de bouger. »



Je le rassure : « C'est simple à interpréter : Ton instinct t'avertissait que tu allais entendre une mauvaise nouvelle. Pauvre vieux ! Remarque après ce qui est arrivé à ta famille, ta terreur se comprend ».

Fred me regarde interloqué : « Quoi ma famille ? Pourquoi dis-tu cela ? »

Je tapote affectueusement son épaule : « Oui, pauvre vieux, lorsque tu as appris qu'un avion venait de s'écraser sur la maison de tes parents. Cela a dû être si difficile à entendre ».

Fred se lève d'un coup, furieux : « Tu es fou ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'avion écrasé ?»



Je lève mon stylo. Je suis fou vraiment. Pourquoi amener cet événement abracadabrant dans mon histoire : un avion qui s'écrase sur une maison. Je ne vais pas savoir continuer le récit. Je biffe jusqu'à : «  Oui, pauvre vieux, » et je reprends :

« Je tapote affectueusement son épaule ... » La sonnerie du téléphone retentit, une fois, deux fois, trois fois. « Virginie décroche ! Je suis en pleine écriture ! » La sonnerie continue. Elle est devenue sourde ou elle fait encore la tête. Ah ! Les femmes le matin!



Je me réveille. La sonnerie du téléphone déchire le silence de l'appartement. Virginie a décroché puis se dessine mollement, livide, dans l'encadrement de la porte de la chambre : « Mon pauvre chéri, c'est horrible: » Elle reprend un peu d'air comme quelqu'un qui se noie « Un avion ... écrasé ... sur la maison de tes parents ». Je pousse une terrible plainte.



J'ouvre les yeux. Virginie dort à mes côtés en ronflant légèrement comme un chat. Ce n'était qu'un mauvais rêve. Je m'étire. La lumière tamisée est amicale. Je sens que l'inspiration sera au rendez-vous. Je vais me préparer un café à réveiller un mort ! Soudain, glaçant le moment, la sonnerie du téléphone retentit.









FIN

EVELYNE W