Destination : 155 , Portraits d'ailleurs


L'invitation

– Madame, vous recherchez un prince capable de vous décrocher la lune en vous déclamant des vers. Il devrait en plus être capable de vous protéger tout en vous embarquant dans de trépidantes aventures. Qu’il soit un gentleman empreint d’humour et débordant d’attention envers votre personne serait un atout non négligeable.

Toutefois, vous êtes assez lucide pour oser écrire que c’est peut-être beaucoup demander à un homme. A un seul en tous les cas, je vous le confirme. Moi qui ne suis plus guère capable que de monter sur un escabeau pour changer une ampoule, je n’irais certes pas vous décrocher la lune mais je me sais capable d’allumer des étoiles dans vos yeux et des éclats de rire à vos lèvres.

Pour ma part je n’ai pas d’idées préconçues sur la femme de mes rêves, qu’elle occupe mes jours et mes nuits suffira déjà amplement ! Mon indéniable ouverture d’esprit me pousse à croire que je puis être le type de toutes les femmes (ou de la plupart de celles qui auront assez d’humour pour accepter mes blagues pas toujours délicates, assez de liberté personnelle pour ne pas m’enfermer dans leurs désirs et leurs projections).

Je vous propose donc une première invitation dans mon palais pour décider ou non de prolonger au-delà de l’apéritif. A vous de voir si votre goût pour l’aventure vous incite à prendre le risque (bien modéré croyez-le) d’accepter ma proposition, sachez que ma bonne éducation suppléera à mon absence de sang noble et me permettra donc de me comporter en parfait gentilhomme.



– Monsieur, cette vivacité d’esprit que je lis à travers vos lignes et cette façon décalée de me répondre, suscitent ma curiosité et m’amènent à prendre le risque de vous rencontrer comme vous me l’avez proposé.



C’est ainsi que Judith se retrouva à sonner à la porte de ce petit immeuble rose un soir de juillet 2010. La ficelle dorée du seul pâtissier digne de ce nom et ouvert un lundi dans cette ville de province, s’enroulait à son doigt. Elle s’était engagée à venir avec le dessert, Régis n’aimait pas le chocolat c’est pourquoi deux mousses de fruits avaient emporté son choix.



La porte s’ouvrit sur un homme de taille moyenne à la silhouette dynamique, deux yeux bleus l’enveloppèrent d’un regard vif, un sourire gai et serein éclaira un visage aux traits irréguliers.

– Entrez, entrez. Vous pouvez poser votre sac sur ce meuble. Attendez, je vous débarrasse de cette boite.

– Trouver un pâtissier ouvert un lundi qui en plus, fasse autre chose que des éclairs au chocolat n’est pas si simple ! Heureusement j’ai des amies de bon conseil !

Un sourire amusé accueillit cette remarque, le nez se plissa légèrement tandis qu’une ride se dessinait à son sommet :

– Il ne fallait pas vous compliquer l’existence, je me serais adapté à autre chose !

– N’exagérons rien, j’ai survécu à cette épreuve sans trop de stress et j’en suis tout à fait remise à cette heure !

– Tant mieux nous allons donc pouvoir passer une bonne soirée. Qu’est ce que je vous sers à boire ? Et d’un pas léger il se dirigea vers la cuisine.

– Euuh…je ne sais pas. Qu’avez-vous à me proposer ?

– Sans alcool, des jus de fruits je crois ; promptement il apparu dans l’encadrement de la cuisine, sinon et bien j’ai mis une bouteille de champagne au frais.

– Ah, si vous me prenez par les sentiments…le champagne me convient très bien. C’est la seule boisson dans laquelle j’apprécie les bulles.



L’ambiance était légère, les mots venaient facilement. Cet homme était bien dans sa peau, il avait envie d’être bien durant cette soirée sans rien projeter. Il avait pris la peine de l’écouter à chacune de leurs conversations précédentes, elle s’en rendit vite compte. Par exemple, quand il lui avait demandé quelle cuisine elle aimait, si quelque chose lui ferait particulièrement plaisir, elle avait répondu qu’elle avait envie de soleil. Ce soir il avait cuisiné de l’agneau à la méditerranéenne, la table était mise avec des assiettes de couleurs vives, du orange et du vert particulièrement. L’appartement était modeste, le ménage avait été fait la veille et un grand rangement avait dû l’occuper une partie du dimanche. Elle sourit intérieurement à la fois car c’était une attention délicate et en même temps parce qu’elle fonctionnait de même…



Régis était satisfait de la voir souriante et détendue, sitôt qu’elle tendait la main pour attraper la carafe d’eau il la servait. Par la fenêtre ouverte, on entendait des oiseaux chanter, quand elle se pencha dehors, elle put admirer la vue sur les parcs et jardins environnants. Les gestes de son compagnon étaient posés et mesurés, tout en lui indiquait la sérénité et la vivacité. Il parla de lui avec humour et lui épargna les doléances sur sa vie familiale. Son front légèrement bombé, la ligne bien droite de ses sourcils donnait à son visage une certaine fermeté. Ses lèvres bien dessinées, légèrement retroussées lui donnait un air gourmand. Elle saurait assez vite qu’il ne s’agissait pas que d’une impression. Cet homme là était gourmand de la vie et du plaisir, épris de cette liberté qui accompagnait ses gestes et se manifestait dans ses mots, ses prises de position. Un curieux mélange d’élégance et de simplicité triviale jalonna leurs échanges et Régis le papillon attira Judith l’artiste qui se sentit capable de lui laisser la liberté auquel tout papillon et tout artiste aspirent.



lola